Milieu de la table de Serpentard

Sterenn avait quitté les bras de Morphée pour de bon et ne battait plus des paupières, comme une pauvre petite chouette égarée. Au contraire, elle gardait les yeux grand ouverts, pour mieux dévisager ses voisins et voisine. Elle voulait comprendre, elle voulait savoir, elle voulait être mise au parfum ; son insatiable curiosité était piquée, et elle se serait certainement accrochée à la table ou au banc avec l’énergie du désespoir si la Serpentard, la seule qui était réellement « chez elle » (et, en conséquent, la seule qui était en droit de lui donner des ordres), avait tenté de la chasser. Heureusement, Gaëlys ne tarda pas à prendre la parole, et ne l’obligea pas à s’en aller. Au contraire, elle était apparemment la bienvenue.

Soulagée, la jeune Gryffondor offrit un sourire plein de fossettes au préfet de Poufsouffle. Un peu pour le remercier, beaucoup pour répondre à son sourire. Sourire vraiment craquant, cela dit en passant. Très craquant même. Comme son propriétaire. Charmant, vraiment. Tout simplement char...

Minute. Mais non, il n’était pas charmant ! C’était un garçon et tous les garçons étaient des salauds (en tout cas, Cathy ex-épouse Wilson le disait souvent) ; et puis, il était marqué dans tous les livres, toutes les ballades, tous les poèmes du Moyen-Age que les licornes n’approchaient que les jeunes filles pures. Sterenn tenait à rester blanche comme neige, pour avoir un jour la chance d’effleurer la corne dorée de ces superbes animaux. Dans ces conditions, il était hors de question qu’elle trouve un garçon charmant, mignon, ou quoi que ce soit dans cet ordre. Même Gaëlys.

Surtout Gaëlys, en fait, décida soudain la jeune fille. Elle cessa illico de lui sourire.

"Oui, je pourrai" émit-elle d’une voix ferme mais froide, avant de se tourner vers Mélusine, d’un mouvement vif, comme une gamine qui boude.

Elle hocha la tête quand la Serpentard lui confia sa tâche, avant de porter une main à sa tempe, comme le faisaient les militaires moldus. La Vert et Argent ne comprendrait certainement pas ce geste si elle était issue d'une famille de purs sorciers, mais ça n’avait pas beaucoup d’importance.

Elle ne fit aucun commentaire après la tirade de Gaëlys mais les avertissements de Vanyel ne tombèrent pas dans l’oreille d’une sourde.

"On ne pourrait pas se servir de sa sœur ? Sascha Ombrelune ? Il ne pousserait pas le vice jusqu’à surveiller une conversation entre deux sœurs... Si ?"

Melusine avait écouté les suggestions supplémentaire tout en appréciant les hochements de tête approuvant ses ordres précédents.

- Il faut d'abord sensibiliser les élèves pour qu'ensuite ils se plaignent à leur famille. Quand à la dirlo...

La verte et argent jeta un regard pensif sur le trône d'Ombrelune.

-Effectivement passer par sa soeur sera le plus simple. Quand à Rogue, il faudrait prendre contact avec son frangin.

Son regard se perdit à nouveau dans le vague puis se durcit et elle fouilla dans le sac de Vanyel pour en sortir un parchelin, une plume et un encrier. Avec application elle écrivit la pétition suivante:



Puis elle ressortit sa baguette et enchanta le parchemin pour qu'il s'allonge à chaque nouvelle signature et le sépara en plusieurs exemplaires qu'elle confia à ses camarades.

- Voilà, maintenant c'est à vous de jouer. Je vais arranger la salle sur demande pour qu'on puisse s'y retrouver tranquillement dans quelques jours.

La Serpentard enjamba le banc et, avant de partir, dit une dernière chose.

- Gaelys et Edmund, ça serait bien que vous alliez aussi tâter du côté des elfes des cuisines voir de quel côté ils sont. Et pour nous tous, faites attention dans les couloirs à cause des tableaux, on ne sait jamais où peuvent se trouver nos ennemis. Sur ce, à plus tard.

D'un pas déterminé, Melusine se dirigea vers les portes de la Grande Salle et les franchit. Ils allaient y arriver. Ils alalient faire revenir William à Poudlard. Il était hors de question que ça se passe autrement.

[i]Mélusine était vraiment bien remontée. C'était même surprenant de la part d'une serpentard de se mettre autant en avant dans un combat qui semblait quasi perdu d'avance. Qu'avait-elle à y gagner finalement? Un serpentard qui s'engageait autant sans rien avoir à gagner en échange était suspect. Voilà ce que sept années lui avaient appris. Cependant il se tint bien d'en faire la remarque : l'important était qu'elle fut avec eux et avec elle d'autres serpents.

Tandis qu'elle était penchée sur sa pétition, Gaëlys eut un autre sujet d'interrogation... La gentille et douce Sterenn, qui lui adressait il y a quelques secondes encore un délicieux sourire, s'était enfermée soudainement dans un silence dédaigneux avec la mine de Melle Pince les jours de fêtes -_- . Qu'est-ce qui pouvait bien arriver à la gryffondor? On avait beau dire, les filles étaient quand même des êtres incompréhensibles et Gaëlys admirait Cornwell d'être aussi à l'aise avec elles. Mais ça il aurait préféré qu'on lui arrache les ongles un à un plutôt que de l'avouer.

Mélusine avait fini d'écrire et elle dédoubla le parchemin. Le préfet la remercia en enfournant un des rouleaux dans une poche de son pantalon avant de se lever.

"La salle sur demande? Ok c'est pas idiot.. Hein? Les elfes? Beuh.. Oui ok on verra ça hein Edm..."

Mais la vert et argent était déjà partie. Jugeant qu'il était préférable de ne pas attirer davantage l'attention avec un groupe hétéroclite (et mes quoi? °_o ) rassemblé à la table de serp, il regagna celle de Poufsouffle avec Edmund tout en regardant Sterenn du coin de l'œil. il faudrait qu'il lui parle, son attitude l'intriguait.

[ailleurs]

Sterenn n’avait eu besoin que d’un coup d’œil pour réaliser que les conspirateurs étaient tous plus âgés qu’elle. Elle ne se sentait pas intimidée par ses aînés mais savait que sa position n’était pas enviable. Ses quatorze petites années la desservaient, comparées aux seize voire dix-sept printemps bien tassés de ses camarades. Elle fut donc agréablement surprise que sa proposition concernant Sascha ne soit pas discutée, ni rejetée. Vaguement flattée, et surtout fière d’avoir porté avec honneur l’étendard des Gryffondor, elle esquissa un sourire et leva une tasse de chocolat chaud jusqu’à ses lèvres, tout en écoutant les commentaires de Mélusine.

Elle tendit sa main libre quand la Serpentard distribua la pétition, puis fourra le parchemin dans la poche contenant sa baguette, le tout sans lâcher sa tasse de chocolat. Une fois qu’elle eut vidé son gobelet et léché sommairement les gouttelettes égarées sur ses lèvres, elle posa la tasse et approcha sa main droite d'un panier de croissants. Conspirer, c’était bien beau, mais ça ne nourrissait pas une femme.

Bonne idée pour les elfes de maison. Elle connaissait plusieurs camarades qui (par l'odeur alléchés) traînaient souvent près des cuisines. S'ils acceptaient d'entrer dans la combine, ils pourraient interroger les serviteurs de Poudlard avec un minimum de discrétion. Concernant les tableaux, même en temps normal, on ne pouvait pas leur faire confiance...

Elle n’adressa pas un signe, pas un sourire, rien de rien à Gaëlys quand il se leva. Elle attendit d’ailleurs qu’il eut quitté la salle avant de lever, avec un croissant dans chaque pogne.

Comme l’avait si bien dit la Serpentard, c’était à eux de jouer.

[=> Dortoir des Gryffondor]

[Château > pièces communes > autres lieux > sous la trappe d'astronomie]

Citation :

Sam semblait nerveux. Pas autant que lui, songea Julien en entrelaçant ses doigts avec ceux de son petit ami. Avec un peu de chance, peut-être le 7ème année avait-il aussi zappé ? Plein d'espoir, le petit serpentard marchait à côté de son grand couetté tout en discutant avec lui. Oui, ce devait être ça, ce qui expliquait sa nervosité. Sauvé !

"En fait, je crois que j'ai dormi un peu... Heureusement j'étais avec Taylor, du coup on devrait pas avoir une trop mauvaise note ! Il m'a tapé, si je le retrouve, ça va mal aller ..."

Pour toute réponse à la question idiote de son petit ami, le 5ème année l'entraîna d'un pas résolu vers la porte grande ouverte de la grande salle. L'heure était au goûter, et ils étaient loin d'être seuls, la plupart des élèves vénérant cette pause sacrée. Quoique aucun n'était aussi assidu dans son culte que le petit rose, il s'attabla donc devant un pot de confiture faisant deux fois la taille de sa propre tête avec un sourire réjoui.

"Passe moi le pain Sam, j'envoie les tartines !"

Tout était une question de timing et de synchronisation : pour avoir le temps de faire un maximum de délicieuses tranches de pain recouvert de sucre au fruit, le travail à la chaîne était le plus indiqué, avec option montrage de dents aux affreux qui auraient eu la mauvaise idée de vouloir chourrer la confiture.

Le pain défilait, Julien tartinait, Sam stressait.
Au milieu de la table vert et argent de Serpentard, les deux serpents entamaient leur goûter dans l'allégresse pour l'un et l'angoisse pour l'autre. Julien, tout en tartinant à la chaîne, racontait le cours de divination et la scène qui avait opposé deux élèves de 5ème année dans la salle commune de serp, entrainant des dents cassées pour l'un, une calvitie temporaire pour l'autre et une retenue pour les deux.

"En parlant de retenue parait que t'as eu des soucis avec Rogue? Il s'est passé quoi? "

C'était idiot. Et Samuel le savait bien. C'était idiot de repousser comme ça ce qu'il avait prévu de faire. Posant la corbeille de pain, mettant la chaîne de tartines au chômage partiel, il se leva pour fouiller dans sa poche. A force de tortillement, il réussit à saisir ce qu'il voulait et extirpa de sa poche quelque chose dont deux fins rubans noirs dépassaient de son poing fermé. Il s'assit et posa son regard émeraude sur Juju qui avait arrêté la machinerie-tartines.

"Tiens... Je sais pas si... Enfin j'espère que... C'est pas grand chose mais... Joyeux anniversaire Ju' ^^ Ca fait deux ans déjà ^^ "

Sa main s'était déployée, offrant un petit sac de toile noire que fermait un ruban resserré et bouclé. Dedans, deux petits objets formaient des angles aigus. Le 7eme année espérait que son cadeau plairait à son petit ami après la trouille de tous les diables que le vendeur lui avait fichue.

"Oh... Répondit le jeune homme en mordant à pleine dent dans sa première tartine. J'ai toujours des soucis avec Rogue."

A la grande joie de ses condisciples, le cinquième année avait enfin accepté de lâcher son pot de confiture et celui-ci -à moitié vide à présent- circulait avec vivacité sur la table, comme si les autres élèves craignaient que le petit rose changea d'avis. Ce dernier avala ses premières tartines en quelques bouchées fantastiques pour une si petite personne, puis ralentit le rythme après un verre de jus de fruit.

"Il soutenait avoir dit de mettre six feuilles d'armoise... Moi j'ai clairement entendu seize, c'est pas ma faute si ça a explosé ! Et s'il nous faisait faire des potions moins instables aussi... C'est terrible cet extrait de rhume, mon chaudron a éternué tellement fort que la moitié de la classe s'est retrouvé sous pimentine..."

Le sorcier en herbe haussa les épaules avant de lécher ses doigts plein de confiture :

"Bref, chuis collé tous les jeudis soirs jusqu'à décembre... Il voulait le mardi mais je lui ai dit que non, on a l'entraînement de quidditch, faudrait pas déconner non plus."

Sam se levait et la nervosité recommençait à gagner Julien. Lentement, il attrapa une tranche de pain et mordit dedans. Merlin de merlin de merlin. Son petit ami, en petit ami digne de son nom, n'avait pas oublié. Il allait falloir trouver une parade, et vite, mais en attendant, gagner le plus de temps possible. Adoptant un sourire réjoui de circonstance plein de confiture, Juju engouffra sa tartine et essuya vivement ses mains dans une serviette.

"C'est quoi ??? Allez Sam, dis moi !"

Après un bisou collant pour son couetté préféré, le garçon se saisit du petit sac, intrigué. Le montant à haut de ses yeux, il observa la chose avec circonspection, secouant un peu pour voir si ça faisait du bruit mais sans grand résultat. Pris de curiosité, le serpentard adressa un sourire au 7ème année puis sans plus de cérémonie, ouvrit son cadeau et fit rouler sur la table deux jolis dés d'ivoire.

"Qu'est-ce que c'est ?" Les cubes paraissaient tout ce qu'il y a de plus banal et Julien s'interrogeait.

Le pot de confiture était passé à d’autres mains, la salle se remplissait à grande vitesse, un pouffy avait trébuché et était tombé le nez dans le bol d’un serdaigle, Julien était collé tous les jeudis jusqu’en décembre, et pourtant Sam ne réagit à rien. Toute son attention était concentrée sur le petit sac de toile que Julien ouvrait maintenant. Il n’allait pas aimer c’est sûr. Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’acheter un truc aussi bizarre? Un paquet de bonbons aurait surement plu davantage à son petit ami. Mais on n’offrait pas juste un paquet de bonbons pour une chose aussi importante qu’un anniversaire de couple ! … On n’offrait pas non plus deux dés normaux qui ne servaient à rien.

Lorsque les dés roulèrent sur la table, Samuel se jeta promptement dessus en hurlant et les rattrapa avant qu’ils ne s’arrêtent : « Fais pas ça !!! »

Les yeux fermés, la tête rentrée dans les épaules, il s’attendait à la fin du monde. Mais non. Rien. Ils avaient eu de la chance. Sam les reposa doucement, sans les faire rouler, sur la table. Son cri avait dirigé tous les regards sur eux. Devant le regard intrigué de son chéri, dont les magnifiques cheveux roses brillaient sous la lueur des bougies – Sam se demanda un instant ce que son père dirait de ça – le 7ème année jugea qu’il était temps de donner quelques explications.

« Celui là » - son doigt pointa le dé de droite – « C’est le dé à coudre. A moins que ce ne soit celui là… Bref un des deux c’est le dé à coudre, l’autre c’est le dé à découdre. En tout cas, l’un fait des choses selon la face sur laquelle il tombe, l’autre les défait parfois. Seulement le vendeur ne savait plus ce que chaque face faisait, il a parlé de chaos, un truc comme ça, de fin du monde. Bref… Il était super flippant le mec, tu sais, celui qui a ouvert le bazar ? Je crois que je me suis fait avoir en fait…”

Fasciné, le petit serp écoutait les explications du 7ème année, ses yeux bleus rivés sur les deux petits cubes d'ivoire. Ils avaient l'air pourtant tout à fait inoffensif à les regarder comme ça ! Mais bon, vivant avec un vieux sorcier excentrique, il était bien placé pour savoir que, parfois, dans le monde sorcier, les objets à l'air le plus anodin étaient les plus instables. Lentement, le jeune homme courba le dos, jusqu'à ce que son regard suspicieux se retrouve pile à la hauteur de la table, face aux deux dés.

Silence pesant. Sam avait terminé son petit topo après quelques balbutiements et Julien ne semblait pas sentir le regard angoissé fixé sur le haut de son crâne. Il observait le couple de bêtes. Il finit tout de même par se redresser, un sourire jusqu'aux oreilles, avant de se jeter au cou du couetté pour l'embrasser :

"T'es fou, c'est trop cool ! J'avais jamais osé entrer dans sa boutique, c'est trop zarb, et Sweepman passe son temps à raconter qu'il ensorcèle ses clients... Mais ça va, t'as l'air normal ! T'es normal, hein ?"

Lâchant enfin le jeune homme, son regard revint à son cadeau. Ça, il en était sûr, ça ferait baver de jalousie Louka et Sascha. Un moyen de semer le chaos, le rêve de tout serpentard. Sourire espiègle en coin, il coula un regard vicieux à Sam :

"On essaye ?"

Sans plus attendre de réponse, Julien se saisit du dé à coudre. Après tout, c'était son cadeau, ça ne servait à rien s'il ne pouvait pas essayer ! Plus inconscient que brave, il jeta le dé sur la table d'un air résolu, alors que, précipitamment, les garçons attablés en face d'eux et qui avaient entendu leur conversation s'écartent. Le cube roula. Roula. Roula. Puis finit par s'arrêter sur une de ses faces. Et le ciel s'abattit sur leurs têtes. Il était de notoriété public que le plafond de la grande salle n'était qu'une illusion, et pourtant... Et pourtant, il pleuvait à verse. A l'intérieur. Trempé comme une soupe en quelques secondes, la bouche entrouverte de stupeur, Julien observa la panique de ses camarades qui fuyaient à toutes jambes en criant, et les professeurs, complétement dépassés, figés dans l'attitude la plus digne possible à leur table bien qu'ils soient aussi douchés que tout le monde. Précipitamment, le petit rose rempocha les dés dans ses menottes trempées.

"Trop cool..."

Samuel avait tendu la main pour reprendre son cadeau, qu’il trouvait de plus en plus ringard et stupide, lorsque Julien lui bondit soudainement au cou tel un diable de farces et attrapes. Il faillit même le faire tomber de son banc mais le couetté tint bon. Ce qui ne fut pas le cas du ruban vert qui enserrait ses cheveux au niveau de sa nuque et qui tomba au sol, juste derrière le banc. Il se pencha pour le ramasser quand Juju le lâcha enfin après un baiser qui avait fait se retourner plusieurs filles et se détourner plusieurs garçons.

Alors qu’il était penché pour récupérer son bien, il entendit le petit rose dire quelque chose puis un bruit qu’il reconnut aussitôt : le son d’un objet anguleux qui roule sur du bois. Le dé.

« NOOOON ! »

Trop tard. Le dé s’immobilisa et aussitôt les cheveux blonds du 7eme année, qui flottaient encore du brusque mouvement qu’il avait fait pour se redresser, furent aplatis sur son crâne par une violente douche froide. La salle ne fut plus que cris et vacarme des bancs que l’on renversait, des objets qui chutaient, alors que les élèves présents fuyaient dans une débandade incontrôlable.

Réflexe. Il fallait s’enfuir, laisser les profs se charger de régler la situation, mais fuir sans laisser de traces. Samuel attrapa Julien d’une main, puis de l’autre ramassa les dés. Mais l’eau avait rendu leur surface glissante et l’un d’eux lui échappa ; avec terreur, il le regarda rouler et s’arrêter aussitôt en heurtant une cruche.

Réflexe. Il ferma les yeux, resserrant sa prise sur le poignet de son petit ami. Et la douche s’arrêta. Ouf. Il avait réussi à contrer le sort. Pour la première fois de sa vie, Samuel Gamegie avait eu de la chance à un jeu de hasard. Tout sourire, il releva la tête et c’est alors qu’il se rendit compte du silence. Le silence dans lequel seuls résonnaient les cris de Julien qui hurlait qu’il lui faisait mal à serrer comme ça et qu’il allait avoir un bleu au poignet et qu’il ne pourrait plus jouer au quidditch .

« Ju ‘…. Regarde… »

Autour d’eux, le monde s’était figé. Les trombes d’eau qui tombaient du faux plafond restaient en suspends entre ciel et terre. Les profs étaient statufiés, la baguette tendue, la bouche articulant des formules interrompues. Les jupes des filles flottaient, certains élèves avaient été figés dans leur course éperdue, touchant terre juste par la pointe d’un pied. Un hibou était suspendu en plein vol.

Suspendu comme le temps.

Le dé n’avait pas arrêté la pluie, il avait arrêté le temps. Et les deux serpentards étaient là, coincés entre deux secondes.

Braillant et gesticulant, le petit serp essayait de se défaire de la poigne de fer de son 7ème année paniqué. Tout à ses contorsions d’anguille, il ne se rendit compte qu’au cri de Sam que quelque chose d’autre s’était passé. Plus une goutte d’eau, c’était un progrès. Mais plus un cri non plus. En fait, plus un bruit du tout. Sam lui tenait toujours le bras mais moins fort, et Julien cessa de s’agiter pour regarder autour d’eux. Alors ça, c’était très étrange. Lentement, ses yeux écarquillés passèrent sur les différentes scènes suspendues. Ici, une fille se cachait sous son livre d’arithmancie pour échapper à la pluie. Là, un élève vorace était quasiment étalé sur la table, tentant vainement d’attraper le panier de brioches pour le protéger des trombes d’eau, et accessoirement en récupérer au passage. Le bout de ses doigts avait été figé frôlant la corbeille.

Toujours aussi lentement, le 5ème année tourna les yeux vers Samuel.

"Qu’est-ce que t’as fait ?"

En fait, sa question était assez rhétorique car presque aussitôt, son regard se porta sur le dé maintenant immobile. Là, il avait un léger souci, et Julien se demanda si arrêter le temps était le pouvoir le plus puissant de son nouveau jouet ou s’il pouvait faire pire. Question chaos, c’était déjà pas mal.

"Attend, je tente quelque chose…"

Enfin, attendre… Dans un monde figé, c’était assez ironique. Prudemment, c’était sans doute la première fois de sa vie qu’il faisait preuve de prudence, Julien détacha ses doigts de ceux de Sam. Apparemment, il pouvait le lâcher maintenant, ils étaient de toute façon tous les deux bloqués dans cet espace temps étrange, pour le meilleur et pour le pire.

"Woaaah… C’est quand même super cool… Tu crois que tout le monde entier est figé comme ça ? Même les planètes ??"

Se promenant entre ses camarades statufiés, le serpentard n’en revenait pas. Tant de possibilités s’offraient soudainement à lui ! Pensif, imaginant déjà la première blague qu’il pourrait faire grâce à cette étrange situation, il attrapa une des brioches du panier tant convoité. Ou plutôt, il essaya. Car impossible de tirer les viennoiseries de leur écrin. Surpris, le jeune homme s’acharna quelques secondes, tirant de toutes ses forces, puis lança un regard désemparé à son petit ami avant de se tourner vers un poufsouffle pour essayer de le faire tomber, ce à quoi il échoua :

"On peut rien faire bouger ! L’horreur ! Faut qu’on fasse quelque chose !"

Soudainement, c’était beaucoup moins amusant. Revenant vers Sam, Julien prit le dé à découdre dans la main du 7ème année mais il s’arrêta un instant avant de le jeter :

"Tu crois qu’il y a un autre moyen ?"

Alors que Julien faisait diverses expériences, Sam restait bouche bée, regardant autour de lui la scène figée entre deux secondes. Même l’air semblait figé. Aucun courant d’air, aucune odeur, un peu comme si tout avait aseptisé. Heureusement qu’ils pouvaient encore respirer… Mais jusque quand sans circulation d’air ? Un petit vent de panique lui fit reprendre ses esprits et il regarda vers Julien alors que celui-ci essayait de pousser un Poufsouffle de toutes ses forces sans pouvoir le faire bouger d’un millimètre.

« Bien sûr qu’il faut qu’on fasse quelque chose avant de manquer d’air ! Mais quoi ? j’en sais rien moi ! Les profs peuvent pas nous aider, ma magie ben… Bref pis à mon avis même ta magie serait pas assez puissante ! Putain, si on sort de cette galère il va m’entendre l’autre épicé de vendeur ! »

En fait, il disait ça dans le vent, si on pouvait dire, car la simple idée d’entrer à nouveau dans la boutique des horreurs était tout simplement impensable. Il avait encore parfois sur les doigts, la sensation de la main de la gloire, peau parcheminée par des années de mort. Il avait été tout simplement dingue d’acheter un truc aussi dangereux. Sauf que pour être honnête il avait cru à un barratin de vente et s’attendait à ce que les dés n’aient pas tant de pouvoir que ça. Erreur.

En tout cas, la seule solution semblait bien être de relancer le dé… Samuel regarda Julien le lui prendre des mains et se passa une main sur le visage. Visage qu’il trouva moite malgré la glace qui emplissait peu à peu ses veines.

« Ben peut-être que ça va s’annuler tout seul.. genre, effet passager ? .. non ? …»