Dernier départ

[HJ- Ceci se passe un bon mois avant la fin d'année officielle.]


Stoïque. Voilà le seul qualificatif qui venait en tête aux rares usagers de la gare de Pré-au-lard en cette période de l'année en voyant Shanaël Gloucester debout près des rails. Elle avait dédaigné le banc et posé ses valises près de ses pieds, le bas de se robe flottant de temps à autres par-dessus le cuir des bagages, les couvrant et les découvrant tour à tour. Le vent s'amusait beaucoup, soulevant les cheveux longs et noirs de la jeune femme. Aucun noeud ne se créait jamais dans cette chevelure lisse et souple. Parfois, d'un geste agacé et d'un claquement de langue irrité, Shanaël repoussait une mèche de cheveux obstinée qui s'accrochait à ses lèvres.

Elle attendait.

66 jours et 16h avaient passé depuis que Shanaël avait cessé d'être une Gloucester. Tant de temps, si peu de temps aussi. Elle avait tenté de parler à son père, il n'avait pas voulu la recevoir, avait retourné ses lettres. Elle avait voulu parler à son frère, mais il ne trouvait pas les mots pour lui répondre, la consoler, alors il se taisait, ne répondait rien. Elle n'avait d'abord rien voulu entendre de sa mère, elle la détestait de lui avoir fait ça, d'avoir osé salir le nom de son père, d'avoir trahi, menti, violé la confiance maritale. Elle avait refusé d'ouvrir les lettres que lui apportait Le Comte, son hibou. Pire, elle les avait soigneusement déchiquetées, émiettées, brûlées, détruites. Puis elle avait su, par les journaux à potins, que son père avait fait scellé sa chambre, qu'il y avait entassé tout ce qui lui appartenait, qu'il la reniait publiquement.

Elle attendait le train.

Les notes scolaires de la préfète avaient chuté, retombant dans les moyennes de classe, une honte pour une Gloucester. Des incidents et des manquements à la discipline se déroulaient sous ses yeux sans qu'elle ne hurle ou ne retire des points. Son autorité en avait pris un sacré coup, même les premières années en rigolaient. Au Quidditch, tout était pire que pire et l'équipe ne se présentait plus aux entraînements car Shanaël était de fer, les engueulant, leur envoyant même parfois des cognards par la tête quand tout n'allait pas à son goût. Sur son passage dans les couloirs, on agitait parfois des coupures de journaux, répétant les paroles de son père. La Gloucester était déchue.

Elle attendait le train pour quitter l'école.

Puis il y avait eu un long silence entre sa mère et elle. Un mois fila et quand Le Comte lui apporta une nouvelle lettre, Shanaël la prit et l'ouvrit. Le contenu ne l'étonna nullement, mère et fille avaient suivi le même raisonnement. Elles s'aimaient, malgré tout, et leur vie ne se referait qu'ailleurs, loin des rumeurs, des revanchards et des mauvaises langues. Loin du Gloucester aussi. Shanaël redevint une Richmond et insista pour qu'on l'appela désormais par ce nom. Elle redevint elle-même et balança des sorts à droite et à gauche, en douce, à ceux qui poursuivaient leurs petits jeux vengeurs. La date était fixée et, en accord avec la direction et dans le plus grand secret, Shanaël passa ses BUSES avant tout le monde.

Le jour dit, Shanaël remit en mains propres son badge à la directrice et prit la direction de la gare de Pré-au-lard. Alors elle se tenait là. Elle attendait ce qui l'amènerait loin de Poudlard, de ce qui avait été cinq ans de sa vie. Lorsqu'il arriva, d'un locomotor barda, Shanaël transporta ses valises à l'intérieur. Elle ne jeta aucun regard par-dessus son épaule. Une Richmond ne ressentait jamais de regret. Personne ne l'attendait là où elle allait, mais Shanaël Richmond n'attendait rien de personne, de toute manière. Seule peut-être l'effleura une petite pensée pour celui qui avait été si longtemps un ennemi et si brièvement un camarade et un ami. Le train lâcha un nuage de fumée et au rythme de ses grandes routes emporta Shanaël vers une nouvelle vie.