Sous la trappe d'astronomie

Le temps était une notion très relative. Lorsque, en cours de potion, vous attendiez avec beaucoup d'angoisse que le prof passe à votre table ramasser un devoir que vous n'aviez pas fait, les secondes semblaient curieusement se raccourcir, comme passées entre les mains d'un coiffeur imprudent. Au contraire, lorsqu'un cours d'un ennui profond étirait ses méandres obscures autour de vous, ses mêmes secondes auraient bien eu besoin d'un petit coup de tondeuse. En clair, Julien s'emmerdait profondément.

Affalé sur la petite table, il retenait à grande peine ses paupières et leur fâcheuse tendance à tomber de plus en plus bas. A côté de lui, le pauvre Lyle, parachuté binôme par le prof pour cette séance, avait dû se taper tout le boulot car le serpentard avait refusé de jeter ne serais-ce qu'un coup d'œil à la boule de cristal. Il était même tellement endormi que quand leur professeur annonça à regret la fin du cours, le 5ème année ne réagit pas tout de suite, en fait, jusqu'à ce que, "malencontreusement", son binôme lui balance au passage un coup de sac, se vengeant ainsi des deux heures interminables qu'il avait passé.

"C'est fini ?"

Personne ne lui répondit, les élèves étant trop occupés à se carapater vers la trappe pour quitter le plus rapidement possible cet enfer enfumé, mais a priori oui, c'était fini. Emboîtant le pas aux derniers retardataires, Julien se laissa glisser de l'échelle avec bonheur, déjà en pensée à la grande salle et au merveilleux goûter qui l'attendait. Cependant, une surprise l'attendait en bas de l'échelle. Surprise qu'il aurait peut-être évité un peu plus tôt dans la journée mais que tout à son extase, il oublia de fuir :

"Sam ! C'est fini !" Informa-t-il le couetté comme s'il ne s'était pas rendu compte du troupeau qui lui était tombé dessus. Se jetant au coup du grand jeune homme, la crevette l'embrassa avec vivacité, se rappelant au moment où ses lèvres touchaient celles du 7ème année son problème de la journée. On était le 14. Et il n'avait rien prévu ^^'.

La trappe à peine ouverte, une marée de voix déferla par l’échelle, envahissant les étages inférieurs. Des pieds apparurent, puis des jambes, vêtues ou non. Quelques garçons s’attardèrent au pied de l’échelle, se rinçant l’œil sous les jupes des demoiselles.
Parfois l’uniforme avait du bon.

Sam lui ne regardait pas sous les jupes des filles. Lui, il attendait son serpent rose, s’étend légèrement décalé vers le fond du palier. Le couetté commençait à s’inquiéter. Julien était toujours parmi les premiers à sortir, déjà parce que les cours n’étaient pas sa passion mais aussi parce que grâce à sa petite taille, il pouvait se faufiler entre les autres étudiants.
Parfois être petit avait du bon.

Enfin, il le vit, dégringolant l’échelle plus qu’autre chose. Il lui atterrit presque dans les bras, lui criant joyeusement que c’était fini, ce à quoi Samuel ne put répondre, empêché qu’il en fut par un baiser vif et promptement déposé sur ses lèvres.

« Ca devait être passionnant , t’es sorti dans les derniers ! A moins que tu te sois endormi dans les coussins ! T’as faim ? Tu veux descendre à la grande salle ? Z’avez fait quoi ? »

Sam était tendu, cela se sentait dans la vitesse de son débit de paroles et par le grand nombre de questions qu’il posait les unes à la suite des autres. Quand Julien prit sa main, il la sentit moite. Les deux garçons descendirent l’escalier en large colimaçon, discutant du cours, du temps, du goûter, de la réunion prévu le soir même par les préfets…

Sa main droite étant occupée, la gauche alla vérifier que les dés étaient toujours là, bien au chaud dans la poche de son pantalon d’uniforme. C’étaient juste des dés. Pourquoi diable était-il si nerveux ? Il n’allait pas non plus lui demander de l’épouser…

Sam semblait nerveux. Pas autant que lui, songea Julien en entrelaçant ses doigts avec ceux de son petit ami. Avec un peu de chance, peut-être le 7ème année avait-il aussi zappé ? Plein d'espoir, le petit serpentard marchait à côté de son grand couetté tout en discutant avec lui. Oui, ce devait être ça, ce qui expliquait sa nervosité. Sauvé !

"En fait, je crois que j'ai dormi un peu... Heureusement j'étais avec Taylor, du coup on devrait pas avoir une trop mauvaise note ! Il m'a tapé, si je le retrouve, ça va mal aller ..."

Pour toute réponse à la question idiote de son petit ami, le 5ème année l'entraîna d'un pas résolu vers la porte grande ouverte de la grande salle. L'heure était au goûter, et ils étaient loin d'être seuls, la plupart des élèves vénérant cette pause sacrée. Quoique aucun n'était aussi assidu dans son culte que le petit rose, il s'attabla donc devant un pot de confiture faisant deux fois la taille de sa propre tête avec un sourire réjoui.

"Passe moi le pain Sam, j'envoie les tartines !"

Tout était une question de timing et de synchronisation : pour avoir le temps de faire un maximum de délicieuses tranches de pain recouvert de sucre au fruit, le travail à la chaîne était le plus indiqué, avec option montrage de dents aux affreux qui auraient eu la mauvaise idée de vouloir chourrer la confiture.