Près des vestiaires

Le soleil de mi-mai était déjà chaud. On se serait presque mis à bronzer dans le parc et il etait certain qu'allait bientot venir le jour ou les premiers groupes de filles s'etaleraient dans le parc pour profiter des rayons bienfaiteurs. Le soleil donc était tres agreable mais en se reflechissant sur les pages de papier blanc du livre, il éblouissait les yeux clairs du blond qui était en train de réviser. Le 7eme année s'était légèrement reculé pour s'adosser a un mur de briques, laissant ses jambes au soleil mais assez dans l'ombre de la batisse pour lire sans avoir mal aux yeux.

L'arriere coté du batiment qui servait de vestiaire aux équipes de quidditch etait un des endroits préférés de Gaëlys, qui pouvait y travailler en paix, sans qu'on le voit, sans etre a tout moment interrompu par des groupes de filles gloussantes ou de fans de quidditch. Et comme les examens de fin d'année approchaient, il avait pris l'habitude de venir souvent à cet endroit pour réviser, lire, approfondir ses cours.

Une sensation bizarre sur son pied droit lui fit quitter un instant son livre du regard. Il vit un petit papillon blanc posé sur son gros orteil. Depuis qu'il avait subit le sort de Shanael et qu'il avait reussi tant bien que mal à s'en debarrasser, il laissait souvent ses pieds à l'air libre. En plus la sensation de l'herbe etait tres agréable.

Il regarda un instant le papillon et commença de bouger son orteil d'avant en arriere lentement. L'insecte ne bougeait pas.

[PV -> Shan]

En attendant le jour où les filles s'étaleraient en petite tenue pour faire bronzette en feintant d'étudier, mais plus préoccupées par la vision de jolis garçons en plein entraînement, le terrain de Quidditch était plutôt désert. C'était surtout à cause de tout l'intérêt suscité par les duels sorciers organisés par la direction de l'école dans la Grande Salle en cet instant.

L'insecte posé sur le gros orteil du septième année de Poufsouffle n'était pas le seul à ne pas bouger. Il y avait, mais cela Keryann ne l'avait pas vu ou n'y avait pas porté attention, une jeune fille se tenait sur le plus haut gradin des estrades au sol. De là où se trouvait Keryann, il ne pouvait vraisemblablement voir que l'arrière du crâne de la fille. Celle-ci avait les cheveux réunis en une longue queue, attachés par un ruban vert et argent.

Shanaël fixait l'espace vide devant elle. Elle donnait l'impression de regarder des sombrals avec intensité. Dans ses mains, une enveloppe déchirée au cachet rouge brisé. Sur sa robe de sorcière, étonnamment, on ne retrouvait pas l'habituel blason de préfète qu'elle portait en tout temps. Ses joues avaient perdu toute couleur.

Finalement, le papillon blanc s'envola semblant trouver l'orteil du poufsouffle soudainement inintéressant, à moins qu'il ne soit sensible aux quelques relents de sortilège qui revenaient faiblement par moment. Gaëlys chassa cette pensée de son esprit et pencha la tête vers l'arrière, la posant contre la paroi de bois et offrant ses yeux fermés au ciel d'un tendre bleu. Il plia ses jambes, ramenant ses pieds vers lui et posa ses bras sur ses genoux écartés, le livre pendant entre eux.

On était déjà mi-mai et la réponse de l'école d'entraîneur n'était toujours pas arrivée. Il ne fallait pas se relâcher maintenant, le conseil d'admission attendait peut être ses résultats de fin d'année pour prendre sa décision. Ces derniers jours, le fait qu'il puisse être sur la sellette lui était paru de plus en plus probable. Jusqu'alors, le gardien et capitaine de Poufsouffle n'avait pas imaginer qu'il puisse ne pas être accepté dans l'école qu'il visait depuis de nombreuses années. Mais maintenant qu'il se trouvait au pied du mur, cette idée l'obsédait.

Ils voulaient qu'il prouve ses capacités scolaires? Ok , il allait avoir les meilleures notes possibles à ses aspics ! Bien décidé à faire rentrer ses stupides chapitres dans son crâne de blaireau, il rouvrit les yeux. C'est alors que son regard fut attiré par quelque chose en haut des gradins qui lui faisaient dos. Quelqu'un, pas quelque chose. Le blond n'était pas très loin mais il devait plisser les yeux pour mieux voir ce qui se détachait sur le fond d'un bleu éclatant.

La présence de quelqu'un sur les gradins était étonnante car aucun match, ni entraînement n'était prévu à cette heure ci. Peut-être était-ce quelqu'un d'un qui avait recherché la tranquillité pour ses révisions tout en profitant du beau temps comme lui.

Un coup de vent souleva une longue couette de cheveux noirs et fit voleter un ruban qui lui sembla vert et argent. Son coeur loupa une marche alors qu'il se remettait debout. Le vent retomba et il ne fut plus sur de ce qu'il avait cru voir. Etait-ce vraiment la préfète des serpents? A bien y réfléchir la possibilité que ce fuit bien elle était mince. Qu'aurait-elle fait en plein soleil, elle qui aimait l'ombre et le froid des cachots? Et puis lorsque Shanaël était au terrain de quidditch, c'était sur un balai et pas sur les gradins. Décidément, il fallait qu'il arrête de la voir partout !

Un nouveau coup de vent lui remit ses doutes en tête et il comprit qu'il ne réussirait pas à se re-concentrer sur ses cours tant qu'il n'en aurait pas le coeur net. Se relevant, il déposa son livre au sol et contourna la baraque des vestiaire pour y entrer et en ressortir peu après avec un balai d'entraînement sur lequel il s'envola aussitôt.

La couette noire voleta a nouveau lorsque le 7eme année se posa près de celle qui se revela être effectivement Shanaël. La surprise laissa place à une légère inquiétude face à l'expression qu'elle affichait. En vol il avait déjà préparé une ou deux répliques cinglantes mais il les oublia rapidement. Elle était livide, semblait perdue dans ses pensées et ne pas avoir remarqué son arrivée. Le blond posa le balai le long d'un banc et s'approcha. C'est alors qu'il remarqua l'absence d'étoile de préfète. Ses sourcils se froncèrent. Son étoile elle ne la quittait jamais. Qu'avait-elle pu faire pour qu'on la lui retire?

"Salut..."

Que pouvait-on dire d'autre face à une situation si inhabituelle?

La grande ombre de Keryann se découpa sur le corps prostré de la préfète de Serpentard. Elle partut prendre conscience de la présence du jeune homme lorsque sa vision fut obscurcie. Alors elle releva la tête très lentement, comme si elle pesait trois tonnes. Nulle larme dans ses yeux, mais tant son teint cadavérique que la noirceur de son regard donnaient l'impression qu'on faisait face à une noyée. Réalisant que Keryann l'observait d'une drôle de manière, Shanaël se râcla la gorge et fronça les sourcils. Elle froissa la lettre dans son poing qu'elle garda bien serré, jointures blanchies.

"Je vais très bien" aboya-t-elle en réponse à une question que le sixième année n'avait pourtant pas posée.

Vraiment, elle n'avait aucune envie de parler, encore moins avec ce crétin de Poufsouffle qui, pour autant qu'elle le sache, sortait avec trois filles en même temps. Grand bien lui fasse! Shanaël n'était pas comme ces individus qui trompaient les gens, trompaient leur femme, trompaient leur mari. Elle. n'était. pas. comme. ça. martela-t-elle dans son esprit.

Le poing de la jeune fille se crispa davantage, provoquant un tremblement incontrôlable dans son bras. Non, elle n'était pas comme ces gens-là, pas comme sa propre mère.

"Va-t-en!" balança Shanaël avec hargne, sans regarder Keryann (elle n'avait pas même remarqué que celui-ci ne portait pas de chaussures. La préfète fixait un point, quelque part, vaguement au-delà du terrain de Quidditch. Puis elle prit soudain une décision, agrippa son balai, foutu la boulette de papier dans sa poche de robe et donna un coup de pied dans le coffre placé près d'un banc. Deux balles noires en jaillirent aussitôt, manquant arracher la tête de Keryann. Elles foncèrent vers le ciel. Shanaël enfourcha alors son balai, armée de sa batte et assomma presque le plancher en décollant. Sa fureur irradiait jusque dans l'électricité statique dégagée par ses cheveux.

Morte.

Ce fut le mot qui vint à l'esprit de Gaëlys lorsqu'il vit le visage que la préfète leva vers lui. On aurait dit que toute vie l'avait quitté mais que, pire encore, elle avait été remplacée par toute la noirceur du monde. Il avait déjà vu la préfète des serpents dans des états de colère noire, notamment la fois où il lui avait cassé le poignet involontairement, mais ça n'avait eu aucune commune mesure avec ce qu'elle exprimait là. Il en etait resté immobile, la bouche entr'ouverte et lorsqu'elle lui vociféra qu'elle allait bien alors qu'il ne le lui avait pas demandé, il eut un sursaut de recul qui faillit lui faitre perdre l'équilibre. Son pied ne trouva que le vide derriere lui mais se posa heureusement tres vite sur le gradin inférieur.
A peine retrouvait-il un rithme cardiaque normal que Shanaël s'envolait. Un cognard siffla à son oreille et le blond leva un bras pour se proteger un peu tardivement. Les balles et Gloucester etaient déjà hautes.

Il avait remarqué la lettre qu'elle tenait si fermement serrée dans sa main, comme si elle avait voulu la désintégrer, l'anihiler. Le gardien avait aussitot pensé qu'elle avait reçu une reponse negative d'une ecole de quidditch mais il se rendit compte que c'etait completement idiot. Shanaël etait en 5eme année, pas en 7eme. Le fait qu'elle avait deux ans de moins que lui sembla lui jaillir à la figure. Elle avait une telle personnalité, une telle prestence, qu'il la considerait toujours comme son egal.

S'il avait trouvé une Shanaël dans son etat de colère habituelle, il aurait obei à son injonction de s'en aller, mais il ne pouvait pas. Elle lui avait joué de sales tours et ne meritait certainement pas qu'il s'inquiete de son sort mais là c'etait différent. Elle semblait tellement hors d'elle qu'elle pourrait mettre sa vie en danger, et que ce soit Shanaël Gloucester ou quelqu'un d'autre, il ne pouvait pas l'abandonner dans un tel état.

Quelques secondes après, il s'envolait pour essayer de rattraper la jeune fille qui avait commencé de frapper les cognards. Son talent de très bon gardien lui servit lorsqu'ils se dirigerent vers lui. Ayant l'habitude de bien calculer les trajectoires des projectiles, il sut les éviter quasi tous. Un seul le frappa sur le coté du bras, le faisant grimacer de douleur. Heureusement, il ne l'avait pas frappé de plein fouet car la furueur que mettait Shanaël à les frapper lui aurait pulverisé les os.

Criant à pleins poumons, il tenta de se faire entendre au milieu des bruits des cognards qui sifflaient et du vent qui hurlait.

"Shanaël ! Attends! Arrete ça ! tu vas finir par te blesser ! Arrete !! .. Elle ne m'ecoute meme pas..."

Voyant qu'il etait inutile de continuer à s'epoumoner, Gaëlys fit un détour sur la droite et fonça sur l'arriere de la batteuse. Eperdue de rage, la sorcière ne faisait meme pas attention à lui, ce qui l'arrangeait bien. Arrivé à sa hauteur, il sauta de son balai pour atterrir sur le sien. Collé au dos de la jeune fille, il coinça le manche de son balai sous un de ses genoux et emprisonna les bras de Shanaël en l'enlaçant des siens. Sa main saisit son poignet qu'il serra fortement pour lui faire perdre toute force.

"Lâche ça !.. Lâche cette batte Shan !"

A deux sur le balai, ils perdaient rapidement de l'altitude.

Le vent ne sifflerait jamais assez fort à ses oreilles pour chasser l'écho des mauvaises nouvelles qu'elle venait d'apprendre, se dit Shanaël en accélérant encore et encore dans le ciel au-dessus du terrain. Son visage fermé laissait transparaître par à-coup une forte tristesse et un désarroi encore plus grand. Elle ne remarqua pas que le Poufsouffle s'élançait à sa poursuite, elle se concentrait sur les balles noires, levant sa batte et appliquant toute son énergie à taper le plus fort possible. Ses bras, déjà, la faisaient souffrir, mais elle continuait de frapper, encore et encore, s'empêchant de réfléchir.

Quelqu'un hurlait quelque chose de loin en loin, mais Shanaël n'y accorda aucune attention. Elle guettait les cognards, voilà tout ce qui importait dans son univers rapproché. Malheureusement, le quelqu'un, sous la forme de Gaëlys Keryann, s'imposa à elle. Pourquoi s'obstinait-il? Pourquoi n'avait-il pas quitté les lieux comme elle le lui avait ordonné? Il n'en avait jamais rien eu à faire d'elle et elle, de lui. Furieuse qu'il se permette d'occuper une portion non négligeable de son balai, Shanaël lâcha sa batte d'une main (et il se permettait de l'appeler Shan!).

Elle n'eut pas le temps de repousser violemment le jeune homme comme elle en avait l'intention, car elle se retrouva emprisonnée dans ses bras. Elle ne put que se débattre à peine tant il la serrait avec énergie. Un glapissement de rage et de douleur s'échappa de ses lèvres lorsqu'il lui tordit presque le poignet. N'en avait-il pas eu assez de lui casser le poignet une fois? Tournée de trois-quart, Shanaël crispait tous les muscles de son corps pour se défaire de Keryann. Ses yeux remplis de fureur se plantèrent dans ceux du Poufsouffle.

"Va-t-en de là, crétin, on tombe!" siffla-t-elle. Le balai descendait à vive allure à présent et le sol se rapprochait dangeureusement vite. Par chance, les cognards semblaient s'être perdus quelque part dans les gradins.

Telle une anguille, Shanaël essayait de se dégager de ses bras mais Gaëlys avait resserré son etreinte et il emprisonnait la serpentard en serrant son corps finement musclé contre lui. Le vent sifflait et les deux sorciers tombaient maintenant presqu'a la verticale. Il cria presque pour couvrir le bruit du vent.

" Pas question ! "

Il avait prévu de repasser son balai entre ses jambes au dernier moment pour ralentir la descente et ainsi atterrir pas trop brutalement, car meme si Gloucester etait une terreur elle n'en restait pas moins une fille. Mais l'entreprise fut plus difficile que prévu. L'air qui tourbillionnait autour d'eux opposait une résistance au balai et il eut du mal à passer sa jambe par dessus, devant pour le faire, lacher à moitié la jeune fille. La ralentissement fut plus rapide et l'atterrissage plus brutal que prévu. Tout deux se retrouverent plaqués au sol , heureusement pour Shanael, ce fut elle qui lui tomba dessus et pas l'inverse.

Ni une ni deux, Gaëlys de releva et rattrapa le bras de la préfète avant qu'elle ne s'enfuit.

"Qu'as tu fais de ton étoile ? "

Quelque chose heurta à ce moment la sa cheville. Le blond baissa les yeux pour voir une boulette de papier et, comprenant que ca devait etre celle que Shanaël avait fourrée dans sa poche et qui avait du en sortir suite à leur chute, il la ramassa rapidement et la tint hors de portée de la Serpentard. Il avait la meme taille qu'elle mais ses bras etaient plus longs de quelques centimètres, ce qui faisait toute la différence.

"Qu'est ce que tu as? Qu'est ce qui ne va pas?"

Pour la première fois de sa vie, Shanaël craignit pour sa vie. Ils filaient à toute allure vers le sol et rien ne semblait pouvoir les ralentir. Elle cessa de tenter de se libérer de Keryann pour se concentrer sur les probabilités de leur écrasement. De son côté, le Poufsouffle paraissait faire de même tant il se tortillait pour passer sa jambe par-dessus le manche du balai et... quoi? regagner son propre balai? Si la situation n'avait pas été aussi dramatique, Shanaël n'aurait pas manqué de penser qu'il était trop tard pour ralentir leur descente. Elle avait lâché sa batte qui avait chuté comme une pierre jusqu'au sol pour s'y écraser avec un bruit mou, creusant un trou dans le sol meuble du terrain. Leurs deux corps suivraient-ils le même chemin?

Elle n'eut pas le temps de pousser un cri lorsque Poufsouffle et Serpentard percurtèrent le sol. Membres et balais entremêlés. Un grand crac retentit tandis que des étoiles dansaient devant les yeux de Shanaël. Elle se releva dès qu'elle se sut en un seul morceau (ce qui n'était pas le cas de son balai) et se dégagea vivement de Keryann. Sa fureur remonta d'un seul bloc et des flammes s'égaillèrent dans ses prunelles. Mais elle ne put faire un mouvement car Keryann lui attrapa le bras fermement. Shanaël tenta de tirer son bras prisonnier vers elle, mais sa force n'était rien comparée à celle du jeune adulte et pas question de se ridiculiser en demandant qu'il la lâche.

"Ça ne te..." commença-t-elle d'un grondement menaçant, annonciateur de l'orage, mais Keryann ne lui portait plus aucune attention, il se penchait pour ramasser...

"DONNE-MOI ÇA! TOUT DE SUITE!"

La rage la consummait tout entière et elle se jetta sur le Poufsouffle pour lui arracher le papier, mais il le tenait hors de portée. Plus rien d'autre n'importait que de récupérer cette lettre. Personne ne devait savoir! Elle donna un grand coup de pied dans le tibia droit de Keryann.

Une douleur fulgurante irradia aussitot dans la jambe du Poufsouffle et monta directement jusqu'en haut de son dos, le faisant se couvrir de chair de poule. Pur réflexe, il se pencha en echappant un cri de douleur, comme si le fait de poser sa main sur l'endroit où elle l'avait frappé ferait cessé la douleur. Il comprit bien vite ce qu'elle tentait de faire et se redressa aussitot, avant qu'elle ne puisse lui arracher le papier des mains. Cette lettre devait avoir une sacré importance pour qu'elle se mette dans un tel état. Gaëlys n'était pas curieux de nature, respectant l'intimité des gens. Mais cette fois, il aurait vendu sa chemise pour savoir ce qu'il y avait dans cette lettre pour mettre la préfète des serpents dans un tel état.

Shanaël était ivre de rage. Il ne l'avait jamais vue aussi effrayante. Pourtant Gaëlys ne se laissa pas impressionner et répondit à son coup par une rude bourrade, la poussant à l'épaule violemment.

"TU TE CALMES MAINTENANT GLOUCESTER!"

Son regard s'était durcit tandis qu'il la fixait sans ciller. Le teint rouge, les yeux hurlant de rage, les cheveux ébourriffés, elle etait terriblement belle. Essayer de la raisonner était inutile, il fallait la secouer.

"Tu es pathétique ! Ca ne te ressemble en rien de perdre le controle comme ça ! Où es ta dignité hein? Je ne pense pas que ton père aimerait te voir te ridiculiser devant un Poufsouffle, toi une Gloucester!"

Sa fureur ne chuta même pas lorsque son coup vicieux eut l'effet escompté. Elle se précipita sur la lettre, mais ses doigts n'eurent que le temps d'en effleurer la tranche du papier que Keryann remontait illico le bras, traçant un fin sillon sur l'index droit de Shanaël qui ne remarqua même pas la douleur cuisante.

Elle manqua se retrouver à nouveau sur le sol herbeux lorsque Keryann la bouscula rudement d'un coup dans l'épaule gauche. Pour qui se prenait-il? Personne ne s'attaquait ainsi à Shanaël... Gloucester! La bouche de la préfète se résumait en un seul trait, crispé, toute sa colère exprimée par l'acier de ses yeux.

"Pathétique! Regarde-toi avant de traiter quiconque de pathétique et RENDS-MOI CETTE LETTRE IMMÉDIATEMENT! ET NE ME PARLE PAS DE MON PÈRE!"

Toute personne se trouvant dans un rayon de 100m autour du terrain de Quidditch aurait pu entendre la dernière partie de la phrase, mais Shanaël s'en souciait comme d'une guigne. Qu'ils entendent tous, s'ils le voulaient, elle n'en avait rien à faire, mais personne ne devait poser les yeux sur cette lettre! Elle se hissa à nouveau sur ses pieds, sans pouvoir atteindre autre chose que le poignet de Keryann, ce qui, bien que dans sa fureur noire elle ne le remarqua pas, la rapprochait dangereusement du gardien de Poufsouffle. Bien des filles lui auraient jalousé cette proximité. Shanaël rabaissa le bras et darda son regard sur celui de Keryann. Une baguette venait brusquement d'apparaître dans sa main, juste sous le menton du garçon.

"Tu.me.rends.ma.lettre.tout.de.suite.ou.bien.la.suite.risque.d'être.très.désagréable."

Shanaël connaissait parfaitement les règles de l'école concernant les menaces armées d'une baguette, mais elle était une Serpentard et en l'occurrence, plus rien ne comptait à l'instant présent.

Gaëlys s'immobilisa dès qu'il sentit le bout de la baguette de Shanaël sous son menton. La pression qu'elle exerçait l'obligeait à garder la tete levée mais il ne la quittait pas des yeux. Une sueur froide lui glissa le long du dos. Elle ne plaisantait pas et cela se voyait dans son regard.

Il n'était pas gryffondor et n'avait pas le courage qui caractérisait les lions, mais il avait le sens de la loyauté et bien que Shanaël ne l'aie jamais ocnsidéré comme son ami, il était hors de question de l'abandonner comme ça. Sa décision fut donc rapidement prise et il garda le bras levé.

" Non je ne te rendrai pas cette lettre. Je n'ai pas envie de te voir partir en courant je ne sais où dans un tel etat. Tu serais capable de te blesser involontairement ou volontairement et ça je ne veux pas. Il faut que tu en parles à quelqu'un, pas à moi je m'en doute je ne suis pas aussi idiot que tu le crois. Tes problèmes ne s'arrangeront pas parce que tu les fuiras. Tôt ou tard les choses se savent ici, et les rumeurs circuleront très vite si on te voit comme ça surtout sans ton étoile. Tu veux faire quoi? Quitter l'école? Je n'ai pas envie que tu partes, le quidditch sans toi ça n'aurait plus le meme goût. Fais pas de conneries Shanaël."

Elle allait surement lui rire au nez avec tout le venin des serpents dont elle faisait partie et il savait qu'elle etait capable de lui jeter un sort, elle l'avait déjà fait, meme si cette fois cela serait surement plus grave. Pourtant il tint bon. Il y avait de bons profs dans cette ecole et un bon infirmier. Il ne risquait pas grand chose.. Tout du moins essayait-il de s'en persuader alors que la peur brillait dans ses yeux.

"Alors trucide moi si ça te chantes, mais je ne te rendrai pas cette lettre ..."

Les yeux du Poufsouffle s'étaient légèrement arrondis sous le coup de la surprise et son corps s'était tendu de partout, muscles tétanisés. Shanaël le sentit plus qu'elle ne le remarqua, étant elle-même plus tendue qu'une corde d'arc. D'un instant à l'autre, elle allait claquer et personne ne pouvait savoir quelle cible la flèche atteindrait. Les doigts crispés sur sa baguette, la jeune fille fixait son regard directement dans celui du Poufsouffle, presque nez à nez avec lui. Elle serrait les mâchoires à tel point que dès l'instant où elle ouvrirait à nouveau la bouche, une désagréable douleur la saisirait.

Le bras de Keryann ne s'abaissa pas, la lettre resta dans sa main, la baguette de Shanaël trembla tandis que Keryann lui balançait son petit discours de Poufsouffle. En temps normal, elle se serait offensée que Keryann laisse entendre qu'une Gloucester puisse fuir des problèmes, mais justement... Shanaël avait-elle encore le droit de s'en réclamer? Elle s'accrocha à sa baguette.

Son étoile? Shanaël baissa les yeux en même temps que sa baguette effectuait un arc de cercle vers le torse de Keryann. Elle posa la main sur sa propre robe, à l'emplacement où se trouvait normalement son insigne de préfète. Il n'y était pas.

Des conneries?

Shanaël releva la tête et cette fois ces yeux n'avaient plus rien de glacial, leur acier se teintait d'un triste bleu. Elle inspira et détourna la tête en rangeant sa baguette. Sa voix parut légèrement étranglée alors qu'elle se penchait pour ramasser les deux morceaux de son balai. Il n'y avait pas que sa famille qui se brisait ce jour-là.

"Très bien. Fais-en ce que tu veux. Lis-la, moque-toi, affiche-la sur le tableau des annonces. Je m'en fous."

Gaëlys sentit avec soulagement la pression de la baguette sous son menton diminuer et Shanaël l'abaissa enfin, lui permettant de reprendre un rithme cardiaque correct. Il avait réussi à désamorcer la situation, ce qui etait un exploi face à une serpentard aussi furieuse. Pourtant il ne se sentait ni fier, ni courageux, il se sentait juste impuissant devant la tristesse qui regnait maintenant dans les yeux de la préfète, si elle l'était encore.

Pendant la confrontation, diverses suppositions sur le contenu de la lettre avaient frolé l'esprit du poufsouffle. Pourtant l'idée que Shanaël ait pu etre demise de ses fonctions lui semblait improbable. Et encore moins par lettre. Le direteur aurait eu le tact de le faire lors d'un entretien. Alors pourquoi diable ne portait-elle plus son étoile?

Elle s'était penchée pour ramasser son balai cassé. Le blond la suivit du regard. La vue de son trésor brisé lui faisait mal et il regrettait les dégats causés mais il préférait que ce soit le balai qui ait souffert plutot que sa propriétaire. Ce qu'il entendit ensuite lui fit complètement rompre le fil de ses pensées. Ce qu'elle disait? Il n'en savait fichtre rien tellement son attention était rivée sur le timbre de voix de Shanaël. Une voix non assurée, une voix legerement brisée, une voix qui avait du mal de sortir de sa gorge serrée. Une voix dans laquelle perçait la tristesse de ses yeux, une voix qui lui faisait entendre les larmes qu'elle ne voulait pas qu'il voit.

Sans hésiter quitte à se prendre un coup ou un sort, en quelques pas, Gaëlys rejoignit la jeune fille qui s'eloignait en lui tournant le dos et la prit doucement dans ses bras. L'etreinte qu'il lui donna fut brève et douce. Le ruban de vert et d'argent, les cheveux sombres que le vent poussaient noyerent son visage et c'est contre l'oreille de Shanaël qu'il murmura:

"Meme si tu crois le contraire, sache que tu peux compter sur certains d'entre nous."

Déjà il l'avait relâchée. Sa main était vide, la poche de la serpentard ne l'était plus.

Des échardes du balai enfonçaient leur bout pointu dans les paumes de la jeune fille sans qu'elle y portât attention. Elle continuait plutôt de serrer le manche, encore et encore plus fort, les yeux fixant l'herbe verte devant elle sans la regarder. À l'écoute de ses tourments intérieurs, elle n'entendit pas le Poufsouffle se rapprocher par derrière. Qu'on l'assaillit la laissa sans réaction pendant un court moment: elle ne dit rien, se raidit, ravala frénétiquement la boule de détresse qui se formait dans sa gorge et l'empêchait de respirer sans trembler. Ses yeux pourtant demeuraient secs bien qu'ils se teintaient è présent de rouge.

Des mots, des mots à son oreille. À cet instant, leur émetteur n'importait plus du tout, la fissure dans la muraille de la jeune fille craqua soudainement et Shanaël sentit ses genoux la lâcher. Elle ne put rien y faire et, laissant tomber les morceaux épars de son défunt balai, elle se raccrocha au bras de Keryann pour ne pas tomber. Mais dans son désir de se recroqueviller, elle entraîna avec elle le jeune homme. Les genoux sous le menton, elle s'agrippait toujours au bras de Keryann. Sa robe de sorcière étalée sur le sol, sur la terre humide, se gorgeait d'eau. Le froid ne transpercerait son pantalon que dans quelques minutes.

Shanaël hoqueta, tentant encore de ravaler sa tristesse. Lèvres pincées, elle refusait de s'ouvrir, de se rendre vulnérable. Une Gloucester ne... un sanglot plus profond que les autres la secoua douloureusement.

Son bras fut soudain agrippé et il sentit les ongles de la préfète s'enfoncer dans sa peau. Par réflexe, il ferma aussitot les yeux, sourcils froncés et dents serrées, prêt à recevoir le coup qui n'allait certainement pas tarder. Mais il n'y eut pas de coup, juste une traction sévère sur son bras qui l'entraina soudain vers le sol. Pour ne pas s'étaler, le poufsouffle posa un genou à terre et s'il ne s'etait pas retenu de son autre main dans la boue, il aurait eu tout à fait l'air d'un prince demandant la main de sa belle. Mais le prince avait une main et un genou dans la boue, les cheveux ébourriffés et un air inquiet sur le visage. La belle s'était accroupie et se retenait à lui comme à une bouée de sauvetage.

Gaëlys avait réouvert les yeux des qu'elle l'avait attiré au sol. Il ne pouvait pourtant pas voir son visage, enfoui dans ses bras. Que se passait-il ? Il avait décidé de ne pas insiter et de la laisser seule une minute auparavant mais maintenant il se sentait betement responsable de la jeune fille. Il ne pouvait pas simplement récuperer son bras et s'en aller en la laissant là, dans la terre noyée de pluie, seule avec sa détresse.

Son côté saint Bernard etait cependant mis à rude épreuve. On ne consolait pas une Shanaël Gloucester comme on consolait une Eleonore Le Viste. Il essaya de réfléchir à la meilleure conduite à suivre mais il connaissait tellement mal l'imprévisible serpentard que c'était peine perdue. Un impressionnant sanglot secoua Shanaël et fit sursauter Gaëlys, le forçant à réagir. Il y alla donc au feeling et déplia ses jambes, tirant sur son bras pour faire relever la jeune fille.

"Viens."

Un ordre? non. En tout cas, il ne l'avait pas dit comme on ordonne. Il voulait juste la déranger le moins possible avec des mots qu'elle n'entendrait meme pas. Quand on se sent si mal, on n'entend plus rien d'autre que la douleur qui hurle en soi et ça, il le savait.

Lentement, il l'attira vers un des bancs qui flanquaient le terrain et attendit qu'elle y prenne place pour s'asseoir pres d'elle. Il l'avait lâchée et sentait son coeur serré de la voir tellement triste, tellement boulversée.

Gaëlys leva sa main et remit une longue meche noire derriere l'oreille de Shanaël sans la lacher de son regard bleu. Il ne savait pas quoi dire. Peut etre parce qu'il n'y avait rien à dire.

Très peu consciente du monde qui l'entourait, Shanaël respirait avec difficulté, tentant en vain d'inspirer à fond.

Quelque chose se bloquait irrémédiablement quelque part au milieu de sa poitrine. Un poids, une masse, pourtant aucune larme n'humecta ses joues. En automate, elle se releva, toujours agrippée au bras du Poufsouffle. Peu lui importait à présent que l'école au complet la vit dans cet état. Les mots de la lettre dansaient encore devant ses yeux. Le contact des doigts de Keryann sur sa joue fit émerger la préfète qui tourna enfin la tête pour regarder son camarade. Malgré toute la douleur qu'elle ressentait, Shanaël gardait le dos bien droit.

Elle baissa les yeux sur sa main et la retira subitement lorsqu'elle vit qu'elle tenait toujours le bras du gardien des Wild. Elle ferma le poing et battit plusieurs fois des paupières, provoquant la réaction contraire à celle qu'elle désirait. Une larme solitaire traça sa fuite sur la joue pâle de la Serpentard. Shanaël l'essuya sans lui laisser le temps de vivre sa vie de larme.

Et puis parce que le poids dans sa poitrine ne disparaissait pas, parce que Keryann était là, parce qu'elle avait besoin de parler, parce que le contenu de la lettre la brûlait de l'intérieur, la jeune fille ouvrit la bouche et les mots s'échappèrent.

"Elle ne l'avait jamais dit. À personne. Mon frère. Plus mon frère. Comment l'a-t-il su? Pourquoi l'a-t-il dit? Ma mère. Comment... pourquoi? Et mon père... mon père... Le manoir, mon avenir, ma famille.."

Sa voix s'étrangla à nouveau et elle ne put rien ajouter de plus.

Elle l'avait effacée vite, si vite qu'on aurait pu se demander si elle avait été vraiment là où si on l'avait imaginée. Il n'en restait plus qu'une legere trace humide qui allait bientot s'evaporer. Car il le savait, la larme qu'il avait entr'aperçue serait la seule, l'unique. Et pourtant, pour une fille aussi forte, aussi solide que Shanaël Gloucester, elle etait aussi significative qu'une crise de pleurs chez une autre.

La serpentard avait retiré sa main de son bras, comme un enfant pris en faute. Gaëlys était de plus en plus persuadé qu'il s'était passé quelque chsoe de grave, de très grave, d'assez grave pour réussir à abattre un roc que rien ne semblait pourtant pouvoir ébranler. Et alors qu'il allait poser une question, la voix de Shanaël lui parvint, lointaine, hachée. Elle donnait l'impression de parler pour elle, comme si elle essayait de mettre de l'ordre dans son esprit ou de se convaincre de la réalité de ce qui venait de lui tomber dessus.

Déboussolé par la situation, le poufsouffle essayait de comprendre, mais son esprit indompté ne cessait de revenir à cette larme si vite effacée. Si bien qu'il ne réussit pas à reconstituer le puzzle des mots de la jeune sorcière. Son frère n'etait plus? .. Sa famille? le manoir? .. soudain un embryon d'explication naquit dans son esprit. il revit en détail, comme sur une pellicule de film moldu, la fois où il avait croisé Shanaël à la poste sorcière. La fois où il lui avait cassé le poignet sans le faire expres. C'etait en hiver et il avait glissé. Elle avait reçu un colis.. de son frere.. et semblait y accorder plus d'importance qu'à la prunelle de ses yeux. Ce frère qui..

Il posa sa main le bras de la serpentard.

"Il est arrivé quelque chose à ton frère? Shanaël .. "

La mort de son frère expliquait largement l'abattement de la jeune fille, ainsi que ses mots sur sa famille, le manoir et son avenir, car avec la disparition de l'héritier de la famille, les Gloucester allaient avoir du mal à maintenir leur rang dans la haute société sorciere. Pourtant quelque chose clochait sans qu'il sache quoi.. Comme ce petit truc qui s'agite à l'extreme limite du champ de vision et qu'on ne réussit pas a voir clairement.

Pouvait-on s'inquieter a ce point du destin de la famille quand on venait de predre la personne qui nous était la plus chère? Non.. impossible meme pour un serpentard..

Elle inspira à fond, encore et encore, ayant chaque fois l'impression qu'elle ne parvenait pas totalement au bout de son souffle. La masse faisait toujours obstacle et même les quelques mots égrenés n'avaient pu l'en défaire. Son regard ne se posait pas, il s'enfonçait toujours plus loin dans une vision floue de la réalité. Pourquoi cette dernière avait-elle si soudainement basculé?

Une voix inquiète la ramena au premier plan de cette nouvelle réalité: son frère se portait aussi bien qu'on pouvait se porter quand on fait éclater la famille, mais il n'était plus que son demi-frère. Quant à elle, Shanaël Gloucester, elle n'avait plus rien d'une Gloucester, ni le sang, ni le nom. Sa mère avait osé.... elle avait trahi et sa famille et son rang. Elle méritait d'être répudiée, oui, elle méritait tout ce qui lui arrivait. Mais elle? Comment son père pouvait...

Sans s'en rendre compte, elle secouait la tête de droite à gauche en un silencieux mais affirmé refus de la situation. Alors elle parla, sachant en parlant qu'elle allait regretter cette confidence, longtemps et amèrement, mais elle n'en continuait pas moins de s'ouvrir, tandis que la larme finissait de sécher sur sa joue.

"Mon frère a découvert que ma mère avait eu une liaison avec un duc et que je.... et que j'étais de l'adultère. Mon père l'a répudiée et vient de me rayer de son testament."

Puis, parce que Shanaël était Shanaël, encore plus lorsqu'elle se sentait en déséquilibre, elle ajouta sur un ton acide.

"T'auras tous les détails bientôt dans les bons magazines d'Angleterre."

Les mouvements de dénégation de Shanaël furent tout d’abord obscurs pour le poufsouffle. Voulait-elle dire : « Non il va bien. », ou bien : « Non, je ne veux pas en parler. » ? Les mots qu’il s’apprêtait à dire, et qui à peu de choses près allaient être : « Tu n’es pas obligée d’en parler… » - comme si on pouvait obliger Shanaël Gloucester à parler - moururent sur ses lèvres. Il écouta attentivement les confidences de la serpentard, étonné qu’elle se confie à lui autant qu’estomaqué par ce qu’elle disait.

Toute l’horreur de la situation de la jeune fille sauta aux yeux et à l’esprit de Gaëlys. Shanaël Gloucester n’était pas une Gloucester et son père par qui elle jurait chaque jour, son exemple, sa fierté, l’avait radiée de sa vie, expulsée de sa famille, réduisant son présent et son futur à néant.

Un instant l’image de la déception qu’il lirait dans les yeux de son propre père si la réponse à sa candidature à l'école d'entraineur de Quidditch, qu'il visait depuis si longtemps, s’avérait négative lui glaça le sang et le cœur. Et ce sentiment ne devait être rien comparé à ce que vivait Shanaël en ce moment même. Toutes ses racines, ses piliers, ses assurances, tout s’écroulait d’un coup.

Lentement, il passa son bras autour d’elle, l’attirant pour lui faire poser la tête sur son épaule.

« Je me fiche des journaux et des magasines… Ce sont tous des marchands de linge sale et ceux qui y écrivent valent moins que leur plume à papotte… »

Tout en disant ces mots, ne sachant pas trouver ceux qu’il faut dans ce genre de circonstances tant soit peu qu’ils existent, Gaëlys caressait doucement les cheveux de jais. Il parlait, comblait le silence de mots sans intérêt, chuchotés si près de son oreille que sa bouche frôlait la joue de la serpentard. Puis, sans qu’il puisse reprendre le contrôle des évènements, ses lèvres trouvèrent celles de la préfète. Perdant conscience même du bruit de la pluie qui redoublait, Gaëlys serra Shanaël contre lui, une main dans ses cheveux noirs, gardant clos ce baiser aussi inattendu de l’un que de l’autre.

Il y a des évènements dans la vie qui se produisent sans vous demander la permission. Il y a des situations qui s'imposent d'elles-mêmes et qu'on n'a pas le choix d'accepter. Celle-ci n'en était pas une.

Sous une fine pluie qui commençait à tomber, elle avait accepté le réconfort du Poufsouffle, avait laissé sa tête se poser tranquillement sur l'épaule du jeune homme, ressentant indistinctement le besoin d'être près de quelqu'un, dans les bras forts d'un ami, retenue en un seul morceau quand sa vie éclatait en mille miettes. Adieu équipe de Quidditch, adieu manoir, adieu frère et père, adieu chevaux, adieu ancienne vie.

Que disait Keryann? Que lui chuchotait-il à l'oreille? Shanaël n'en percevait pas les mots, mais le ton la réconfortait, le souffle chaud et le contact humain la maintenaient juste assez loin du désespoir et de la colère, celle qui l'avait envahie un peu plus tôt. Celle qui n'allait pas manquer de ressurgir lorsqu'elle prendrait conscience de l'état de son balai, que son père ne lui en paierait plus jamais de nouveaux.

La pluie redoubla, s'insinuant dans son col découvert et lui plaquant les cheveux sur le crâne. Peut-être fut-ce la sensation des gouttes de pluie s'écrasant sur sa peau blanche qui l'empêcha de remarquer la promiscuité de plus en plus grande. Ou bien était-elle tellement occupée à se noyer dans sa tristesse qu'elle n'y porta aucune attention.

Les lèvres de Gaëlys Keryann, 17 ans, gardien et capitaine des Wild Badgers se posèrent avec douceur sur celles de Shanaël Plus-Gloucester, presque 16, capitaine et préfète des Serpentard. Une main chaude la tenait dans le dos, réalisa la jeune femme. Les lèvres aussi dégageaient de la chaleur. Le coeur du Poufsouffle battait très vite contre sa poitrine. La boue rentrait dans ses chaussures. La pluie était froide. Une seconde infinie se déroula ainsi pendant laquelle la préfète prit conscience de mille et un détails.

Elle repoussa brusquement Keryann dans la boue en lui plaquant les deux mains sur les épaules pour le faire basculer, puis se releva dans toute sa dignité offensée. Ses yeux lançaient à nouveau leurs habituels éclairs.

"Ne. M'approche. Jamais. Plus. Sang-mêlé" siffla-t-elle avec fureur, poussée par la colère plus que par des convictions politiques. Elle tourna les talons et s'éloigna sous la pluie dans de grands bruits de flaques d'eau dérangées. À peine quelques pas plus loin, elle regrettait déjà sa sortie, mais on n'avait pas le droit de l'embrasser ainsi! Jamais ne s'excusait une Glou... Elle s'arrêta, les yeux fixés sur le gazon trempé du terrain, fronçant les sourcils, comme si elle pouvait faire sécher le sol d'un seul regard. Ses poings aussi serrés que la gorge, la tête un peu penchée, les mots parvinrent à franchir le barrage d'années de snobisme et de fierté.

"J'aurais pas dû dire ça."

Elle aurait pu ajouter pardonne-moi, oublie ça, merci d'avoir été là, mais cela lui en demandait vraiment trop pour l'instant. Sans se soucier qu'on l'eut ou non entendu, la préfète poursuivit son chemin vers le château.