La Tour, la Dame et le Cavalier (Pv Samuel)

Plic, plic, plic. Les gouttes de pluie tombèrent sur la missive fraichement ouverte, diluant l'encre bleue d'une écriture bien trop sérieuse. Le blason des Blake en en-tête, la signature de son grand-père en bas de page, les mots n'avaient pas encore caressés ses prunelles que déjà Lynn sentait l'anxiété doucement la gagner. Son cœur se mit à battre plus vite, elle pouvait sentir les pulsations jusque dans le bout de ses doigts. Pourquoi son grand-père prenait-il la peine de lui écrire de manière aussi solennel alors que ses parents ne l'avaient prévenu de rien ? Ce n'était pas dans ses habitudes. Fébrile, la Rousse fit courir ses yeux sur les lettres entremêlées.

Citation :

Ma chère enfant,

Je n'ai pas eu l'occasion de te féliciter pour ton poste de Préfète et tu m'en vois confus. J'espère que tu fais honneur à ton étoile ainsi qu'à ta Maison en assumant dignement les responsabilités qui t'ont été confiées. Tu sais que rien ne reste secret bien longtemps dans le monde sorcier et déjà certaines rumeurs de rébellion envers votre nouveau Directeur vont bon train au Ministère. Quant est-il réellement ? J'espère quant à toi, que tu sauras rester raisonnable afin de ne pas ternir notre réputation et que tu apporteras ton soutien à Monsieur Finchley. La bataille qu'il mène pour redonner à la Magie ses lettres de noblesse est tout à son honneur. Être Sorcier est un privilège dont beaucoup ne mesurent pas la grandeur... Tu n'es pas sans savoir, mon enfant, que les familles de Sang-Pur sont affaiblies jour après jour et que c'est notre héritage que nous laissons mourir à petit feu. Dans toute l'Irlande libre, il ne reste qu'une seule autre famille dont le sang n'est pas sali : les Saxe-Cobourg-Gotha. Pour célébrer la naissance de leur premier petit-fils, ces derniers organisent un repas, auquel tu es conviée. J'ai déjà confirmé ta présence et t'ai eu une autorisation de sortie de la part du directeur Finchley. Ce diner sera l'occasion pour toi de rencontrer leur dernier fils, Cinàed, de six ans ton ainé, promu à un grand avenir au sein du département de la justice magique, que tu reconnaîtras sans doute sur la photo ci-jointe. Je compte sur toi pour faire bonne impression et devenir, ma précieuse Lynn, ma plus grande fierté.

Affectueusement,

Ton grand-père.

La jeune fille cligna des yeux plusieurs fois puis elle relut non pas une fois, ni deux, mais trois fois le courrier. Finalement, elle dut se rendre à la conclusion que, non elle ne rêvait pas, son grand-père prévoyait bien de l'utiliser comme un vulgaire pion dans une partie d'échec. Hannah l'avait bien mise en garde contre l'ambition dévorante de l'aïeul mais jusqu'à présent, jamais la Rousse n'avait voulu la croire. Jusqu'à aujourd'hui. Ses doigts se refermèrent sur le parchemin ivoire, le froissant jusqu'au dernier millimètre et la lettre termina dans sa poche. Elle attrapa ensuite feuille vierge, plume et encre dans son sac humide et rédigea un courrier pour son père à même la murette. Ce n'était pas la meilleure chose à faire, elle en était consciente, mais avant toute chose, elle avait besoin de se confier à quelqu'un. Hors depuis qu'elle évitait Samuel, les oreilles bienveillantes se faisaient bien rare autour d'elle. Elle s'était brutalement rendu compte qu'elle n'avait aucun autre ami. Et Hannah ? Il ne fallait même pas y penser. Son père restait, en cas de secours, la personne dont elle se sentait la plus proche.

Jamais les escaliers menant à la volière ne lui avaient parus si pénible. A chaque marches, elle se demandait si elle faisait le bon choix et si, dans son empressement et sa panique, elle n'avait pas exagérée la chose. Après tout, peut-être son grand-père voulait-il simplement la présenter à ses vieux amis. Peut-être que le reste n'avait été que le fruit de son imagination, orienté par les paroles de sa tante et accentué par la fatigue nerveuse qu'elle accumulait depuis des jours. Elle était si perdue dans ses pensées qu'elle ne prêta pas attention au bruit des talons cavalant sur la pierre. Ce ne fut que lorsque l'ombre longiligne glissa sur son enveloppe qu'elle releva les yeux.

En temps normal, se retrouver face à ses deux pintades aux narines gonflées, ne l'aurait même pas fait sourciller. Elle aurait sorti sa baguette et aurait dégagé le chemin d'un tour de main avec un sortilège bien placé, sans le moindre scrupule. Cependant, les choses avaient changé et la Rousse avait changée avec elles. Ses premiers émois d'Adolescente lui avait appris que, non, on ne peut pas tout contrôler et qu'il existe des choses contre lesquelles on ne peut pas lutter. Elle avait eu beau se cacher derrière les ronces et jouer l’Inaccessible, la vie l'avait rattrapé. Et elle était tombée amoureuse, comme toutes les filles de son âge. Amoureuse d'un garçon qu'elle idéalisait sans doute. Amoureuse de son Inaccessible. Oui, les choses avaient changé et la Serpentard avait perdue bien de son venin. Son premier réflexe fut néanmoins de sourire ironiquement quand les deux Serdaigles s'en prirent verbalement à son Sang.

« Sérieusement les filles, vous êtes terrifiantes. »

Remarque qui parut encourager les deux amies dans leur fanfaronnade. L'une d'entre elle, celle qui avait le regard le plus mauvais, arracha la lettre des mains de Lynn. La Rousse poussa une exclamation étouffée. Elle n'avait rien vu venir, pas plus qu'elle ne vit venir la suite. Les Médisantes gloussèrent devant le visage devenu soudainement blême et les yeux dorés tremblants sous les larmes prêtes à sortir. Avec une méchanceté digne des plus sordides des Serpentards, les filles venaient d'appuyer sur sa blessure encore ouverte. L'Irlandaise sentit un poids s'abattre brusquement sur ses épaules et elle n'eut même pas le courage de se défendre. Le coup était trop violent. En cet instant, elle aurait tout donné pour disparaitre de cette maudite tour.

Avant qu'elle ne comprenne comment, les deux Serdaigles s'enfuirent précipitamment et la lettre se retrouva contre sa poitrine. Maladroitement, elle retint du bout des doigts le papier déjà prêt à s'envoler et son cœur dégringola quand ses yeux glissèrent sur la grande silhouette continuant sa lancée. Samuel. Son cœur se réchauffa sous la présence de son aîné et ses grands yeux cessèrent de trembler de tristesse.

« Eh... »

Il lui semblait avoir crié et remplit l’espace de sa voix alors qu’en vérité, elle n’avait fait que murmurer. Son soupir fut happé par les pierres bien avant d’arriver aux oreilles de Gamegie et le jeune homme passa la porte de la volière sans lui prêter attention. Et maintenant ? Son regard se figea sur la chambranle de la lourde porte encore entrouverte alors que ses orteils se posèrent sur la marche derrière elle, anticipant sa fuite. Elle ne se sentait pas prête à se tenir dans la même pièce que lui et savait qu’elle perdrait pied dès qu’il la fixerait de son regard émeraude néanmoins, elle savait aussi que la balle était dans son camp. Si elle ne saisissait pas l’occasion maintenant en aurait-elle une autre ? Et puis, il y avait aussi cette lettre qui devait impérativement partir aujourd’hui...

L’estomac saucissonné et la gorge sèche, la jeune Serpentard monta les dernières marches qui la séparaient de la pièce ronde et poussa la porte grinçante. Il se tenait immobile, dos à elle. Sa main se referma sur le papier déjà froissé et, prenant une longue respiration, elle avança d’un pas mal assuré entre les poutres.

« Samuel ? »

L’interrogation dans sa voix la surprit et elle se fustigea mentalement. Évidemment qu’il s’agissait de Samuel, fallait être aveugle pour ne pas l’avoir remarqué ! Son regard dévia un court instant sur la lettre qu’elle tenait entre ses doigts et les mots de son grand-père resurgirent dans sa mémoire. Cette scène l’aurait certainement fait mourir de honte.

« Merci... pour ton aide. T’étais pas obligé tu sais, j’aurais pu m’en sortir toute seule mais... c’était gentil à toi... de leur avoir fait peur... Elles ont détaillées comme des pintades, je sais pas si tu as eu le temps de voir leur tête mais c'était vraiment... » Sa voix monta dans les aigu avant de se briser et alors qu’elle pensait avoir réussit à les refouler, de nouvelles larmes apparurent spontanément aux coins de ses yeux. « T’as coupé tes cheveux ? C’est joli... différent mais joli... c’est... je... » Bouche tremblotante, elle baissa la tête et étouffa un sanglot.