Soirée de septembre

Rien de tel qu'un bon bain dans la luxueuse salle de bain de préfets pour vous décontracter après une épuisante journée. Les cours n'avaient jamais paru si fatigants à Liberty depuis qu'elle avait promis à Mr Kay et à Lunae Arzur-Morgan, la directrice de sa maison, de concentrer tous ses efforts dans sa réussite scolaire. D'une façon étrange qu'elle n'arrivait pas vraiment à s'expliquer, l'absence de William Kay la motivait à tenir son engagement.
Cependant, les cours n'étaient pas sa principale préoccupation, bien qu'elle fusse consciente que cela aurait dû être le cas. La saison de Quidditch allait bientôt reprendre, avec de nouveaux joueurs, de nouveaux Capitaines, et par conséquent, de nouvelles stratégies. C'est l'atmosphère studieuse qui régnait chaque soir dans la Salle Commune des érudits de Serdaigle, portée par le fond sonore du frottement des plumes contre le parchemin, qui avait donné à Liberty l'envie de travailler ses tactiques dans un endroit plus neutre, plus détendu. Depuis cette rentrée, de toute façon, Liberty semblait comme troublée. Entre la révolution qu'elle s'efforçait de conduire contre Finchley et sa volonté de réussir son année, elle ne savait plus sur quel pied danser, et les Serdaigle avaient alors affaire à une Préfète encore plus lunatique qu'à l'accoutumée.
C'est directement après sa toilette que Liberty se rendit à la Croisée, un carnet à spirales à la main. Ses cheveux encore humides n'étaient pas coiffés, et avaient momentanément perdu leur clarté au profit d'un blond quelque peu plus foncé.

"J'ai toujours su que t'étais un alcoolique ._."

Cornwell était accroupi, la tête dans le bar, et Liberty remarqua ses livres ouverts sur une table proche de la cheminée. Apparemment elle n'était pas la seule à avoir eu l'idée de venir travailler ici. Curieuse, elle tourna l'un des parchemins vers elle et reconnut la calligraphie parfaite de Sylvaen.

"Ca te gêne pas si je me pose avec toi ?"

Etonné par le bruit soudain, la tête de Zachary apparut soudainement au dessus du bar, et s'éclaira d'un sourire en voyant la joli préfète.

"Bien sûr que je bois ... Pour oublier que j'aurai pu crevé sans que tu sois venue me voir une seule fois v_v ! Mais comme je suis gentil, t'as quand même le droit de t'installer ^_^."

Se redressant, il posa une bouteille sur le comptoir. Bierraubeurre. Il ne connaissait rien de plus encourageant . Excepté la présence de Lib, bien entendu ! D'un geste léger, il épousseta son pantalon, et repassa devant le comptoir. S'il avait l'air encore un peu fatigué, son teint avait retrouvé le doré qu'il arborait toujours en revenant de vacances, signe qu'apparement, il était à peu près remis ... Et il le confirma rapidement.

"Chuis plus contagieux, donc j'ai le droit de te faire la bise !"

Aussitôt dit aussitôt fait, il s'était penché vers la petite préfète pour lui déposer deux bises légères sur les joues, non loin de la commissure des lèvres. Tout était dans la mesure, ni trop près, ni trop loin ! Des années d'entraînement pour réussir à faire ça naturellement, il aurait pu vous le dire ._. . En attendant, il s'était redressé pour jeter un coup d'oeil désespéré à la table :

"J'essaye de rattraper les cours, c'est l'horreur ..." Informa-t-il sa camarade avec un soupir en revenant vers le comptoir où il attrapa un verre. Il lui jeta un regard laconique :

"T'en veux ?"

A la remarque de Zach, Liberty croisa les bras et leva les yeux au ciel, avec cette expression qui voulait dire "cause toujours" et qu'elle employait bien souvent en compagnie du beau parleur de Poudlard. Cependant, il n'avait pas tort, et la petite préfète se sentit quelque peu coupable. Elle avait été tellement débordée entre les cours, son travail à la Poste sorcière le week-end et ses rencards avec Gaëlys (bien que ses camarades lui rappelaient souvent que discuter ensemble dans un couloir, s'assoir à la même table à la bibliothèque ou faire une partie de Quidditch, ça n'avait rien d'un rencard), qu'elle n'avait pas eu le temps de rendre visite à son ami alité. Zach avait ses défauts, mais si elle-même ou n'importe quelle autre de ses amies avait été malade à sa place, il lui aurait probablement apporté un grand bouquet de fleurs et une boîte de chocogrenouilles. Se jurant que la prochaine fois qu'il serait malade, elle apporterait un pot de geranium à Zachary, elle posa son carnet sur la table, et avant qu'elle n'aie eu le temps de protester, il lui avait fait la bise. Il avait dû être Français dans une autre vie ._.

"Je vois ça," répondit Liberty lorsque Zach désigna l'importante pile de parchemins qui recouvrait quasiment la table. "Je t'aiderais bien, mais non seulement je ne connais pas le programme de septième année, mais en plus je dois être la seule élève plus nulle que toi à Poudlard."

D'un bond léger, elle s'assit sur le bord de la table, laissant ses jambes se balancer.

"Ouais, sers-moi un verre. Oh et puis non, donne moi la bouteille ._. Dommage qu'on n'ait pas le droit à l'hydromel des prof, j'aurais bien besoin de me détendre ... on est préfets bordel, on devrait avoir droit à ce genre de privilège ><"

Elle jeta un coup d'oeil à son carnet posé près d'elle. Des autocollants de diverses équipes de Quidditch paraient la couverture.

"Moi je suis venue pour plancher sur des stratégies. Cherche pas Cornwell, même saoûle je te les dirais pas ¬¬"

Voyant que la jeune fille ne faisait pas de manière, le préfet haussa les épaules et rangeant son verre, sortit une deuxième bouteille qu'il lui tendit. D'un coup de baguette -baguette tout droit sortie de la poche arrière de son jean- il les ouvrit avec un sourire ravi.

"Si c'est la fête, j'vois pas pourquoi je me priverai !"

Sans plus de façon, il tendit vers la jeune et jolie sorcière son dû, histoire de trinquer, avant d'avaler une longue rasade. Elle n'était pas mauvaise. Mais le fait d'avoir de la compagnie maintenant l'avait complètement désintéressé de son travail et assis à côté de Liberty, il fit exprès de se pencher exagérément vers elle pour guetter par dessus son épaule :

"Quoi ? Tu me fais même pas confiance ?? T'as bien raison ._. . D'ailleurs c'est peut-être parce que les dirlos non plus me font pas confiance qu'on a pas le droit à l'hydromel ... Quoique en cherchant bien ... J'me rappelle, quand j'étais en troisième année, Ian et ses potes avaient trouvé une bouteille planquée, mais où ..."

Prenant une lampée de plus, il jeta un coup d'œil curieux à la salle qu'ils connaissaient pourtant bien tous les deux. De toute façon, même après plusieurs années, ce château réserverait toujours autant de mystères ... S'appuyant contre un des piliers qui surmontait le bar, il s'installa nonchalamment, un genou remonté contre sa poitrine et le bras où bout duquel pendait la bouteille enroulé autour :

"Alors ? J'attends des explications -_- ! Je suppose que t'étais trop occupée par Keryann -_- ..."

En bon gryffondor, le garçon avait son lot d'obstination et de mauvais caractère, surtout lorsqu'il s'agissait de son rival, cet imbécile de poufsouffle ... Heureusement, il n'était par contre pas sujet à rester longtemps de mauvaise humeur et malgré son ton boudeur, n'avait pas l'air encore prêt à faire une scène à la jeune fille.

Les bouteilles s'entrechoquèrent dans un tintement de verre, et quelques gouttes de mousse de Bieuraubeurre s'envolèrent dans la lumière rouge du feu de la cheminée.
Liberty avala une longue gorgée du breuvage. Après le bain moussant, une délectable boisson amère et parfumée au coin du feu et en compagnie d'un ami était le deuxième moment de réconfort après une longue journée. L'envie de travailler quelque stratégie pour les Sharp Eagles lui était passée pour le moment, évincée par le confort de ne rien faire, rien à part se laisser réchauffer par la chaleur du feu et sentir une agréable fatigue lui tomber peu à peu dessus comme un rideau transparant, lui promettant une excellente nuit de sommeil.
Un sourire paresseux se dessina les lèvres de la Préfète lorsque Zachary évoqua une aventure du jeune propriétaire du Vif du temps où il était à Poudlard. Elle se demanda un instant si quelqu'un évoquerait les leurs lorsque eux même seraient partis.

"Non mais pour qui tu me prends !" feignit de s'offusquer Liberty à l'accusation du Gryffondor, "Je ne suis qu'une studieuse Serdaigle, je suis trop occupée à étudier pour penser à voir des garçons ._. Et puis est-ce que je te demande des explications sur tes leçons particulières avec Syl dans l'infirmerie, hm ? J'ai entendu dire qu'elle t'avait désappé dès le soir de la rentrée, elle a fait fort ! Elle cache bien son jeu je trouve "

La chaleur du feu était réconfortante après ces deux semaines à greloter de fièvre, et Zach appréciait l'atmosphère tout autant que sa camarade. Il faut dire que depuis qu'il était redevenu plus ou moins lucide, il considérait beaucoup plus les choses, les petits détails ._. . Quel plaisir de se sentir fatigué, au lieu de simplement s'écrouler comme une masse sous son propre poids !

Du revers de la main, le jeune homme s'essuya négligemment la lèvre supérieure. Comme à son habitude, il regardait tranquillement Liberty sans s'en cacher aucunement, appréciant le fait de l'avoir pour lui tout seul et à une période de la journée où on avait souvent la chance de voir les filles au naturel, ce qui n'était pas désagréable.

"Studieuse, studieuse ... Grogna-t-il d'un air peu convaincu. C'est marrant de la part de la fille qui vient d'avouer qu'elle était plus nulle que moi ! Bon elle exagère comme d'habitude mais quand même, j'ai pas souvenir qu'elle fréquente beaucoup la bibliothèque ..."

Posant un instant sa bouteille, il étouffa un baillement et s'étira longuement, en profitant pour faire craquer son cou.

"Wouaah j'ai l'impression de sortir de deux semaines de marathon dans le désert ... Ça m'apprendra à être jamais malade, après je rattrape tout d'un coup ... Oui il paraît qu'elle m'a aidé à me déshabiller mais j't'avouerai très franchement que je m'en rappelle pas ^^'. Ça me désole tu le penses bien mais elle a pas voulu retenter l'expérience ._. ... J'ai un souvenir extrêmement flou de la toute la première semaine, et la deuxième vaut pas beaucoup mieux ^^' !"

Se laissant glisser par terre, le préfet fit quelques pas, histoire de se dégourdir les jambes, la bouteille à la main. Il fureta quelques instants du côté de la cheminée puis se tourna vers un grand miroir dans lequel il s'observa d'un œil critique. Ses cernes étaient encore là mais elles avaient largement diminué, dans l'ensemble, il avait retrouvé sa belle allure : les premiers boutons de sa chemise négligemment ouverts sur le torse, il se tenait au moins droit. Certes le regard n'avait pas encore récupéré son assurance et il n'avait plus le sourire perpétuellement en coin mais ça, ça n'attendait qu'une bonne nuit de sommeil pour revenir. Et puis c'était Liberty, il n'était pas non plus obligé d'être parfait à chaque seconde. Ce n'était pas comme s'il s'agissait juste d'une conquête ou de son fan club ._. ... Revenant vers le canapé, le jeune homme prit une gorgée pour se donner du courage et se pencha vers la table, attrapant un livre corné à une page à laquelle il jeta un regard dégouté :

"Bota ... Franchement, tu peux me dire à quoi ça me servira -_- ? Soit je réussis à percer dans le quidditch et alors j'en aurai pas besoin, soit j'y arrive pas et je finis mendiant ou gigolo, auquel cas je m'en talquerai pareil -____- !"

"Détrompe-toi !" s'indigna Liberty. "Pendant que tu roupillais à l'infirmerie, moi j'ai pas arrêté de bosser ! Je me lève tous les jours à sept heures, sauf le week-end ou je me lève à cinq heures et demie pour aller bosser à Pré-au-Lard, et je me suis pas couchée une seule fois avant onze heures !"

Elle illustrait son récit à coups de grands gestes inutiles, éclaboussant accidentellement les devoirs de Zachary de quelques gouttes de Bieraubeurre, prenant le Gryffondor à témoin.

"Je sais pas combien de temps je vais tenir à ce rythme, mais j'ai pas le choix si je veux ... Enfin si je veux réussir mes examens, surtout si je veux une bonne mention."

Si elle ne s'était pas interrompue, elle aurait avoué son ambition cachée, celle de devenir Médicomage. Les deux seules personnes au monde qui connaissaient la nature de cette ambition étaient William Kay et Lunae Arzur-Morgan, ceux-là même à qui elle avait promis de se donner les moyens d'atteindre ce rêve. Mais, pour une raison qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer, elle se refusait d'en parler à qui que ce soit d'autre, comme si elle en avait honte. Avait-elle peur que Zach se moque d'elle ? Ou bien était-elle simplement consciente que malgré sa curiosité et son goût pour l'apprentissage propres à tous les Serdaigle, elle n'avait pas les capacités d'arriver à cet objectif ?

"J'ai entendu dire qu'il y avait des paris lancés sur toi et Syl, à savoir combien de temps encore la fille la plus respectable de Poudlard te résistera. Je parie que c'est Thomas et ses indiscrétions qui les ont lancés ! En tout cas, moi je trouve ça bien qu'une fille te résiste, espérons que ça te désenfle enfin les chevilles !" plaisanta-t-elle en tirant la langue, laissant apparaître le petit bijou en forme de vif d'or qui l'ornait. "Quand j'y pense, moi aussi j'aurais pu jouer le rôle de la fille inaccessible que tu n'auras jamais malgré tous tes stratagèmes ... mais j'avais pas envie ._."

Zach s'était levé et s'admirait à présent dans le miroir. Cette vision arracha un sourire à Liberty. Lorsque le Gryffondor eut finit de se plaindre de ses cours, la bouteille de Bieraubeurre de la Préfète était à présent vidée aux trois quarts.
Liberty marqua un silence pensif. Ses jambes se balançaient toujours sous la table, et son regard s'était perdu au fond de la bouteille, dans le liquide mousseux qui ondulait doucement entre ses mains.

"Dis Zach ... Tu ne t'es jamais demandé ce qui se passerait si tu n'atteignais pas tes objectifs, dans la vie ? Je veux dire ... Toi et moi, le Quidditch c'est la seule chose qu'on sache faire ... Mais on sait aussi que le milieu est difficile et qu'on n'a pas le droit à l'erreur ... Ici on est bons, on fait même partie des meilleurs, mais dehors ...?"

Le ton de sa voix trahissait une certaine gêne, ce qui était assez inhabituel chez la jeune fille. Elle quitta des yeux sa bouteille quasiment vide pour tourner franchement son regard vers Zach.

"Sérieusement, qu'est-ce que tu vas faire s'il n'y pas de place pour toi dans le Quidditch ?"

La porte de la croisée grinça doucement sur ses gonds. Une tête échevelée et à près de deux mètres du sol passa par l'entrebaillement et jeta un coup d'oeil alentour. Apercevant Liberty qui paralit à un garçon qu'il ne voyait que de dos, le grand Serdaigle fit pénétrer son corps interminable dans la salle commune à toutes les maisons. Mais en reconnaissant la voix de Zachary Cornwell il entama un demi-tour stratégique, ne voulant point interrompre un rendez-vous plus ou moins intime. Demi-tour qui fut lui-même interrompu par l'emmêlement des longues jambes entre elles et un gros chat noir qui entrainèrent une forte déstabilisation de l'équilibre de Takehiko.

Avec une pirouette digne d'un danseur étoile, l'anglo-japonais réussit à se rétablir suffisamment pour éviter une chute fracassante. Légèrement étourdi, il salua discrètement Liberty et Zachary dont il avait attiré l'attention.

"Salut. Désolé je m'en vais... ^^' "

Il se baissa, donnant l'impression qu'une planche de surf-tsunami venait de tomber sur le sable, et ramassa les quelques parchemins et plumes qui lui avait échappés des mains et sifflant son chat pour qu'il descende des genoux de sa préfète sur lesquels il venait de s'installer d'un air impérial.

Le gryffondor sourit devant l'indignation de la jeune fille. Il était si facile de lui faire prendre la mouche ... Mais c'est vrai qu'il n'avait pas imaginé qu'elle travaillait autant. Entre elle qui avait redoublé et qui mettait autant d'elle-même dans sa deuxième 6ème année, Keryann qui avait retapé également ... Pas à dire, il avait vraiment été trop insouciant ces derniers temps. Pourtant, malgré toute la meilleure volonté du monde, il n'arrivait pas à s'intéresser à ses études. Les seuls cours qui ne l'endormaient pas étaient la défense contre les forces du mal et les sortilèges, il n'y était pas bien meilleur mais ça l'intéressait déjà un peu plus ... Virer sur ces sujets étaient trop déprimants, et il préféra répondre avec un de ses habituels sourires charmeurs :

"Le jour où t'es trop crevée, viens me voir, j'te ferai un ptit massage ... Plus sérieusement, je veux pas avoir l'air défaitiste mais c'est pas humain ce rythme, y a bien un moment où faudra que tu lâches un peu ..."

Appuyé contre le bord du canapé, il avait fini par se jucher sur le dossier, face à Liberty, à présent presque à la même hauteur qu'elle.

"Enfin, si t'es tellement à fond, tu peux compter sur moi ... Enfin, si y a un truc que je peux faire pour t'aider j'veux dire ... Bref, t'as compris -_-."

Définitivement moins à l'aise dans le rôle de l'ami sincère et sérieux -il laissait généralement le soin aux autres de deviner que sous son air m'as-tu-vu et éternellement non-sérieux, il était là pour eux- il prit une longue gorgée de sa bouteille, rattrapant la préfète dans sa course à l'alcoolisme précoce. Le sujet Sylvaen le fit sourire mais il ne répondit pas aussitôt, hésitant sur la conduite à tenir. Lui-même ne savait pas trop ce qui se passait avec sa collègue préfète mais il était indéniable que ses deux semaines en soin intensif les avaient rapprochés. Il n'était pas encore sûr de la valeur de ce rapprochement, mais enfin, il était là.

Dans un geste de play-boy superbement exagéré, le jeune homme finit par passer la main dans sa chevelure brune pour ramener les mèches en arrière :

"Si tu savais ..." Répondit-il, évasif mais très suggestif, pose aussitôt suivi d'un clin d'oeil malicieux.

La question de la préfète ramena un air plus grave sur ses traits mais il n'eut pas le temps d'y répondre, sauvé par le gong [Esprès pour toi ma Lib ], ou plutôt par les longues jambes emmêlées de Tiktaktok. S'empressant de récupérer cette excuse pour se donner le temps de répondre, c'est qu'elle était profondèment déprimante la question de sa serdaigle préférée, il lança un grand sourire au japonais.

"Mais non t'en vas pas ! Tu veux une bierraubeurre ? j'allais me resservir ..."

Sans lui laisser le temps de répondre, il se dirigea vers le comptoir où se trouvait Liberty pour en ressortir deux nouvelles bouteilles, trois lorsqu'il s'aperçut que celle de la préfète était également presque vide. Se juchant près de la jeune fille, il ouvrit sa canette qu'il considéra avec beaucoup d'intérêt. Un ange passa. A vrai dire, il ne savait plus trop quoi dire maintenant que leur conversation avait été coupée. Finalement, il se décida pour reprendre comme si Tiktak n'était jamais arrivé, ou plutôt, comme s'il avait toujours été là. Faisant tourner entre ses mains la bouteille, le préfet poussa un soupir et sourit tristement à sa voisine :

"Je sais pas ce que je ferais. Tu l'as dit toi-même, c'est la seule chose que je maîtrise. Je blaguais seulement à moitié quand j'ai dit que je serai gigolo. Franchement j'ai pas envie de retourner chez les moldus. Et si je peux pas être célèbre, au moins je serai riche !"

Buté, le garçon regarda ses pieds. Malgré le fait qu'il ait toujours eu un toit, il avait été marqué par le peu d'aisance financière de ses parents. Les gens ne mesuraient pas assez l'importance du taux de traumatisme chez l'enfant, et futur jeune adulte, qui se sent différent parce qu'il ne part pas en vacances, qu'il ne porte pas les derniers tee-shirts à la mode et qu'on lui achète rarement, voire jamais, de nouveaux jouets ._. .

Aussi loin qu'elle se souvienne, Liberty avait toujours apprécié la compagnie de Zachary, et leurs sujets de conversation étaient vastes et nombreux, mais c'était peut-être la première fois qu'ils se confiaient à coeur ouvert de la sorte. Ni l'un ni l'autre n'étaient du genre à étaler leurs sentiments, et il semblait jusqu'à ce soir là que leur amitié était fondée là dessus, sur l'absence de sérieux et de prise de tête. Pourtant, il y avait ce soir là quelque chose dans l'atmosphère de différent, de paisible. Et si Liberty sentit qu'elle pouvait désormais parler à Zach comme on se confiait à un véritable ami, il en était apparemment de même pour le jeune homme bien que celui-ci semblât éprouver des difficultés à prendre l'initiative.

"J'ai compris, si j'ai un problème, je t'appelle," conclut Liberty avec un clin d'oeil, épargnant à Zach la corvée de faire preuve de tact.

Et puis, lorsque vint le sujet de Sylvaen, il persista à garder sa stupide carapace de pudeur, en contournant le sujet à l'aide d'une plaisanterie. Cette réaction frustra Liberty. Mais comment aurait-elle pu s'attendre à une réponse honnête alors qu'elle même avait abordé le sujet en plaisantant ? La vérité était que, comme beaucoup de leurs camarades, Liberty s'interrogeait sur la nature de la relation entre les deux Préfets de Gryffondor. Cette interrogation relevait de deux traits principaux de la personnalité de Liberty : premièrement, elle détestait ne pas savoir. En bonne Serdaigle, il fallait que toutes les questions qu'elle se posât fussent résolues. Ensuite, elle voulait l'entendre dire que ses soupçons étaient fondés, car elle adorait avoir raison. Enfin, s'il fallait ajouter un troisième point, ce serait la possessivité. Liberty n'avait jamais aimé voir s'éloigner d'elle les personnes qui lui étaient chères, et quelque part, bien enfouie, cette petite crainte lui serrait le coeur.
Malheureusement, Zach ne prit pas la perche qu'elle lui avait tendue, pas plus qu'il ne repondit à sa très sérieuse question sur son avenir. Mais cette fois, il fut excusé par l'arrivée inattendue d'un camarade de Serdaigle.

"Oh ! Salut Take," lança Liberty tandis qu'un chat noir venait prendre place sur ses genoux, ronronnant délicatement alors qu'elle le caressait doucement entre les oreilles. "Et salut Gogo ._."

Un silence embarassant s'installa. Sans trop savoir comment enchaîner après cette esquive de Zach, et n'ayant rien de particulier à dire à Takehiko qu'elle avait vu quasiment toute la journée, elle porta son regard dans les flammes de la cheminée, buvant de temps en temps une gorgée de sa deuxième bouteille de Bièraubeurre, et caressant distraitement le chat de Take.
Et puis, finalement, Zachary se décida à rompre le silence.

"C'est marrant", dit alors Liberty qui n'avait pourtant pas l'air de trouver ça drôle du tout, "Tu parles comme un gosse. Tu devrais prendre ton avenir un peu plus au sérieux ... Crois-moi, je sais aussi bien que toi ce que c'est d'avoir des revenus modestes, souviens-toi que j'ai autant de soeurs que toi tu as de frères, et justement, qui c'est qui va te nourrir une fois que tu seras dans la vie active ? Tes parents qui ont du mal à joindre les deux bouts ?"

Elle se tourna vers Takehiko pour le prendre à témoin, s'adressant à lui d'un air qui signifiait "ne me contredis pas !".

"C'est pour ça que je me suis mise à bosser moi ! C'est bien beau d'avoir des rêves, mais si y avait de la place pour tout le monde, ça se saurait. Combien de personnes fantasment de devenir des pro du Quidditch, et combien réussissent seulement à entrer dans le milieu ?"

Elle ne savait pas bien où elle voulait en venir. Au départ, elle avait simplement voulu exprimer ses propres inquiétudes, mais la voilà présent qui faisait la leçon à Zach sur son insousciance. Sans doute ne tolérait-elle pas l'idée que son ami fusse aussi désemparé qu'elle face à l'avenir.
Réalisant cela, elle préféra dévier la conversation sur Takehiko.

"Et toi, qu'est-ce que tu comptes faire quand tu auras tes ASPIC ?"

Bien conscient de déranger quand même, Takehiko resta silencieux une fois installé aux côtés de Zacharie et Liberty. Faisant doucement tourner sa bouteille de bierraubeurre, il écouta néanmoins avec attention l'échange entre ses deux camarades. Pensif, il lui fallut quelques secondes pour répondre à Liberty de sa voix lente et éraillée.

"Certainement faire un petit tour du monde."

Il se rendit compte à quel point ce n'était pas très diplomate de dire ça devant deux personnes aux responsabilités familiales importantes, mais Takehiko Shinji était un piètre menteur.

"Et puis j'intègrerai peut-être une université moldue. Le monde est trop vaste pour s'enfermer si tôt. Et puis sincèrement, je ne sais faire qu'étudier... Alors j'étudierais."

Un grand sourire, bien que ne dévoilant pas ses dents, ourla les lèvres de la girafe de Serdaigle. C'était étrange de dire que servir la société ne l'intéressait pas, mais qu'il voulait au contraire l'observer, essayer de comprendre le sens des choses, leur origine et leur but. De ses longs doigts il prit le livre de botanique posé sur la table et le feuilleta avec l'ai émerveillé d'un enfant devant son premier feu d'artifice.

"Mais je voudrais tout étudier, ne pas me spécialiser. Tout m'intéresse et l'on a qu'une vie et je veux la passer à apprendre. "

Ayant complètement oublié les soucis financiers de ses camarades, ses yeux s'étaient remplis d'étoiles.

"Et même si je n'ai plus d'argent, si je dilapide tout, je marcherais encore et toujours à travers le monde..."

Zachary ne répondit pas. A vrai dire, il semblait s'être désintéressé de la conversation, dans l'attitude typique de quelqu'un qui préfère faire semblant d'ignorer ce qu'il ne veut pas entendre. Le gryf était vexé que Lib puisse le croire si dépendant de ses parents alors qu'il ne leur avait jamais rien demandé depuis qu'il était en âge de comprendre la situation. Plongé dans ses pensées, il contemplait sa bouteille en songeant qu'il aurait préféré quelque chose de plus fort. Il faudrait vraiment demander à Ian confirmation pour cet hydromel caché.

Il n'était pas capable de penser au futur. Même quand il essayait, histoire de faire plaisir aux gens qui tenaient à lui, son esprit était incapable de se concentrer longtemps si dans ce genre de but. Il était évident qu'il n'aurait jamais pu aller à serdaigle ou à serpentard. Travailler ? Penser à son avenir ? Le gryffondor n'avait qu'une devise : Carpe diem. Pourquoi se soucier d'un lendemain dans lequel il n'avait, malgré tous ses grands discours sur sa future carrière, aucune confiance ? Se levant, il rejoignit le feu devant lequel il s'accroupit, maussade, avec de tourner un sourire désabusé vers ses amis :

« Franchement ... Sans parler de rêves ou de ce que vous voudriez ... Vous croyez vraiment avoir une chance ? Vous pensez vraiment que, même sans capacités, on est capable d'arriver à faire quelque chose si on le veut vraiment ? »

Le sourire qu'il adressa à Lib n'avait rien à voir avec ceux qu'il arborait le reste du temps :

« Gosse ou pas, c'est croire aux contes de fées ... Pis se casser la tête pour rien. T'es capable ou t'es pas capable. Chuis pas capable.»

D'ordinaire, le manchestérien n'avait pas vraiment l'alcool sérieux, d'ailleurs deux bierraubeurres dans le nez étaient largement insuffisantes pour souler quelqu'un, mais les conditions étaient inhabituelles. L'atmosphère n'était pas particulièrement joyeuse. Il n'était pas en train de draguer, au milieu d'un groupe ou les plaisanteries volaient. Et puis, s'il avait beaucoup de copains -et surtout de copines-, ils étaient peu auprès de qui il irait s'épancher. En y réfléchissant bien, il ne s'était jamais beaucoup confié au cours de ses sept années à Poudlard. Ses désillusions n'étaient pas vraiment son meilleur atout pour la drague. Alors que finalement, ce qu'il leur montrait n'était que la phase heureuse de son problème : si l'avenir ne vaut rien, profitons du présent !

S'asseyant en tailleur, il tourna le dos à la cheminée pour se retourner définitivement vers les deux autres et écouter avec une lueur d'incompréhension son camarade.

« ... »

Qu'est-ce qu'il pouvait bien répondre à ça après ce qu'il avait dit avant ? Qu'il n'y croyait pas ? Appuyé sur sa paume, le séducteur de gryffondor observait la grande perche de serdaigle. Il ressemblait à ça, lui aussi, quand il promettait au reste du monde une grande carrière dans le quidditch ? Au moins il y réussissait son premier but, il était certainement plus séduisant avec le regard plein d'étoiles d'un gamin qu'avec ses craintes bien enfouies. Non seulement les attitudes désabusées n'étaient pas à la mode, mais en plus, il se détestait quand il se laissait aller à réfléchir sérieusement sur ce qu'il croyait vraiment. Chacun son jardin secret, et s'il pouvait rester terrer où il était, ce serait aussi bien. Il ne manquerait plus que sa réputation devienne celle d'un rabat-joie ! S'il n'avait dû choisir qu'une seule chose à conserver, ça aurait été elle, il ne supporterait pas que les gens ne l'aiment plus. Se forçant après une légère inspiration à retrouver son attitude habituelle, comme si son cynisme n'avait été qu'une parenthèse qu'il fallait s'empresser d'oublier, il lança son plus joli sourire au japonais pour se faire pardonner :

« J'espère que tu nous enverras des cartes. »

Puis secouant sa bouteille avec un air malheureux, il jeta un coup d'oeil à la petite préfète toujours assise sur le bar :

« T'es nulle comme tavernier, tu me laisses mourir de soif ! »