Portes ré-ouvertes...

*La matinée était fraiche pour la saison, une très légère brume parcourait paresseusement les rues du village... Le lever du soleil teintait de rose les façades des commerces et apportait un peu de fantaisie. Quelques noctambules, l'esprit encore brouillé par l'alcool, pressaient le pas pour rentrer chez eux.

Le bruit caractéristique d'une diligence perturba le silence relatif qui régnait sur la place centrale. Elle s'arrêta devant l'échoppe close de Mr Smail, le fabricant de baguettes parti à la retraite depuis quelque semaines. Un homme sorti du véhicule en vint se poster devant la porte du magasin. Aussitôt la diligence reprit son trajet, en direction de la sortie de la ville...

Pourvu en tout et pour tout d'une malle de voyage, l'individu esquissa un très léger sourire avant de sortir une petite clé de sa poche. Il la fit jouer dans la serrure de la porte, et le petit clic, annonciateur de l'ouverture, se fit entendre. Avant de franchir le seuil, il prit l'initiative de retirer les panneaux de bois posés sur la vitrine un à un, manuellement... Etrange, un sorcier se serait servi de sa baguette sans l'ombre d'un doute. Une fois ceci terminé, il referma la porte derrière lui.

Les jours suivants, on pu voir l'homme s'affairer, en plein ménage de la boutique... Passer le balai, faire les carreaux, graisser les portes, enlever la poussière, réagencer les meubles à sa convenance, mettre de l'ordre dans l'arrière-boutique, il n'y avait pas une seule action que l'homme ne fit de ses propres mains.

Une petite semaine après son arrivée, il mettait la touche finale à la réhabilitation de l'échoppe. Perché en haut d'une échelle, il finissait de peindre en jaune soleil le nom sur la devanture. Une fois celà fait, il redescendit et contempla son travail. Les cheveux en batailles, de la peinture sur les mains et sur les vêtements, la mine fatiguée il paraissait content de son oeuvre.

Sur le fronton on pouvait lire ceci :

The Wanderer

Sur la porte, un petit panneau fit son apparition : OUVERT *

Sur le trottoir de l'autre côté de la rue, pas tout à fait en face de la nouvelle boutique mais à quelques maisons de là, un rideau couvrant une porte vitrée s'était insidieusement levé, puis retombé aussi vite. Pendant une fraction de seconde, l'observateur attentif aurait pu apercevoir un visage blafard surmonté d'yeux sombres et curieux, mais la manœuvre avait été si rapide qu'il était peu probable que qui que ce soit en soit certain. Évidemment, la personne à qui appartenait ses yeux sombres aurait aussi bien pu se poster à sa vitrine qui elle n'était recouverte d'aucun voile, mais il ne tenait pas à se faire voir.

Un étranger. Un nouveau venu. Un inconnu venait de s'installer dans SA rue. C'était louche, et Poivre soupçonnait quelques obscurs complots ministériels. Il y avait beaucoup d'agitation en ce moment, notamment dans l'école d'à côté, et il était absolument certain d'être le seul à détenir la vérité : les trolls tentaient de prendre le pouvoir en Grande Bretagne.

Pendant quelques instants, le Vieux Chaudron redevint paisible. Son propriétaire avait disparu dans les limbes de ses étalages. Cependant, bien vite, la porte de la boutique s'ouvrit en silence tandis qu'un écriteau "fermé" se retournait vivement vers la rue. M. Eysel avait choisi la riposte frontale. Enfin, presque. Discrètement, il s'éloigna par une ruelle opposée pour réapparaître plus loin, désireux que l'imposant bonhomme qui contemplait sa nouvelle façade ne puisse pas voir d'où il était réellement venu. Coiffé d'un superbe haut de forme, le jeune homme arborait fièrement son Ombreuse bien qu'il n'en ait pas rabattu le capuchon. Il adopta une démarche hautaine et guindée pour rejoindre le nouveau propriétaire, déployant sa longue silhouette, sa belle canne battant le pavé. Elias put soudainement entendre un toussotement derrière lui, là où il y a quelques secondes, il n'y avait encore personne. Poivre s'était arrêté là et contemplait à son tour l'enseigne.

"Vous savez que le jaune porte malheur mon bon ami ._. ?"

*L'apparition soudaine de l'individu avait surpris Elias... En face de lui se tenait un drôle de personnage, semblant sorti du siècle précédent. Son visage, d'une pâleur mortuaire, laissait redouter le pire.

Il prit quelques secondes pour l'observer avant de reposer son regard sur la devanture.*

"En Asie, le jaune est la couleur des Empereurs... Chacun ses croyances."

*Le quartier commençait à se réveiller, les échoppes s'ouvraient et accueillaient leur premiers clients... Des curieux jetaient des regards obliques aux deux commerçants, leur association détonnant un tant soit peu. Elias soupira, remonta ses manches, laissant apparaitre un tatouage impressionnant sur son bras gauche, prit le pot de peinture posé en bas de l'échelle, glissa le pinceau dans la poche arrière de son pantalon et fit face à Poivre.*

"Et vous êtes ?"

Le guindé jeune homme eut un imperceptible froncement de narine. Il n'aimait pas le jaune. Du moins, il avait décidé qu'il n'aimait pas le jaune aujourd'hui. Prenant un air inspiré, le commerçant leva ses yeux vers le ciel, il observait les nuages... Seuls eux pourraient l'aider dans la tâche délicate de repousser une invasion. Lentement mais surement, son beau chapeau glissait de côté, et il le remit en place d'un claquement de doigt.

"Lord Tiramisu de la Grande Quenotte, se présenta-t-il fièrement en revenant aux yeux du nouvellement installé, je suis envoyé par la confrérie des Fabricants de baguettes afin de procéder aux... hmm... dernières vérifications de vos références. Le magasin est-il prêt à ouvrir ? Je dois lui aussi le contrôler."

Sortant un blanc mouchoir de sa poche, il s'en tamponna délicatement le coin des lèvres, tout à son personnage :

"Vous le comprendrez, j'en suis certain, nous avons eu tellement de soucis par le passé... Certains de nos confrères sont... bien peu regardants. Dernièrement, j'ai assisté au procès de l'un d'eux. Il faisait des expériences sur les composantes de baguette, persuadé qu'elle n'en serait que plus puissantes s'il utilisait des particules humaines..."

Le jeune homme renifla, rangea son mouchoir. Un sourire délicat étira ses lèvres minces, il était très satisfait d'avoir trouvé la vitesse de croisière de ce nouveau rôle. Mais une fois de plus, la situation lui prouva qu'il ne fallait jamais vendre la mandragore avant de l'avoir effectivement arraché : il n'était pas encore suffisamment Tiramisu, et Poivre ressurgit au galop lorsque ses yeux caressèrent le bras tatoué du commerçant. Aussitôt, une lueur d'envie s'alluma dans son regard d'encre et il dut utiliser toute sa volonté pour ne pas se jeter nez contre la peau de Elias afin d'étudier de plus près cet intéressante découverte. D'un air faussement léger, il pointa distraitement le dessin de sa canne :

"Dites moi... Combien vendriez-vous ceci ?"

*L'homme haussa les épaules...*

"Jamais entendu parler d'une inspection... M'enfin, si ça vous fait plaisir."

*D'un geste, il fit signe à Poivre de le suivre dans la boutique. La question posée par ce dernier le troubla, à tel point qu'il ne put masquer son étonnement. Lentement il posa les yeux sur son bras, suivant les courbes harmonieuses dessinées. Ce tatouage représentait tout pour Elias. A son retour au Japon, peu après l'enterrement de sa très chère mère, il passa quelques jours à Tokyo à se saouler au mauvais saké. Un matin, une gueule de bois plus forte qu'à l'accoutumée le fit prendre conscience qu'il était en train de gâcher tout ce qu'il avait tenté de construire depuis des années à Budapest.

Afin de masquer quelques vilaines cicatrices, et surtout pour commencer une nouvelle existence, il s'était rendu chez le meilleur tatoueur de l'archipel... Takashi Miike était une légende, un artiste qui n'utilisait que des matériaux naturels pour dessiner ses oeuvres. D'aucuns disent que les yakuza se pressent à sa porte pour se faire tatouer.

Elias lui donna toutes ses économies et lui laissa carte blanche. 4 mois furent nécessaires pour achever le tatouage, 4 mois pendant lesquels Elias s'interdit de porter le regard sur son bras gauche. Le résultat était à la hauteur de ses attentes... Une véritable merveille s'étendait du haut de son épaule jusqu'à la moitié de son avant bras...

Se reconnectant avec l'instant présent, il prit conscience de l'absurdité de la question...*

"Vous êtes fou, c'est ça... Arrêtez de raconter des conneries et venez inspecter histoire qu'on en termine!"

*Le ton s'était fait plus dur, et le fabricant franchit le seuil de la boutique laissant Poivre dehors...*


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HJ : Voici pour le tatouage ==> http://www.irezumi.us/eg/images/image9.jpg

"Pas entendu parler ?? Voyons, nous avons dû vous faire parvenir un hibou il y a quelques jours ! La poste sorcière n'est vraiment plus ce qu'elle était ! Mon grand-oncle m'a souvent répété que de son temps, le courrier arrivait avant même d'être posté ! Il faut dire qu'à cette époque, Hibou express n'employait que des hiboux Grand Duc croisés à des dragons nains et..."

Noyé l'ennemi sous un flot de paroles, de préférence un peu abracadabrantes pour le fun, il n'y avait que ça de vrai. Le but, bien entendu, était de l'étourdir, voir de détourner son attention, et Poivre, enfin Lord Tiramisu, renvoya son sourire le plus séduisant au commerçant lorsque celui-ci le traita de fou, papillonnant exagérément des cils. Déjà, Elias entrait dans la boutique, et l'inspecteur de l'ordre des baguetiers autoproclamé suivit en chassant d'un geste une poussière imaginaire sur son beau costume.

"Très joli..." Commenta-t-il distraitement, l'esprit toujours entièrement à ce magnifique tatouage qu'il aurait adoré posséder.

"Dites moi, il est magique ce tatouage ?? J'en ai souvent vu des mouvants, voire qui adoptaient certains comportements particuliers pour prévenir d'un danger à venir... Le votre a-t-il... des capacités ?"

Discrètement, le jeune homme se pourlécher les babines. La tentation était vraiment très grande. Heureusement, sa mission n'avait pas encore complètement disparu de sa mémoire, et appuyé sur sa canne, il se posta devant l'immense photo et la contempla un instant.

"Tokyo hein ? J'y étais le 13 avril, il y a 3 ans... Charmant."

D'un oeil devenu inquisiteur, il inspecta minutieusement la première pièce, déçu de ne rien y trouver de suspect. Du bout de l'ongle, il tapota distraitement la petite table en acajou, puis se dirigea vers les paravents.

"Je veux voir l'endroit où vous fabriquez vos baguettes." Commanda-t-il d'un ton redevenu hautain, ne doutant pas qu'Elias obéirait sur le champs au Lord qu'il était.

*Elias laissa échapper un soupir... Décidément ce Lord de mes deux était aussi collant qu'une prostitué des bas-quartiers de Pest. Il sentait bien que quelque chose clochait chez son visiteur, qu'il n'était pas réellement de la Confrérie mais il préférait le laisser en venir ou il voulait.*

"Magique ? Non, c'est juste de l'encre sur ma peau, point. Z'êtes bizarre."

*Il se dirigea vers des paravents situés sur un côté de la pièce et les replia. Une ouverture dans le mur donnait sur une pièce très sombre. A l'aide de sa baguette il alluma les torches présentes aux murs.
La lumière chassant l'obscurité, elle dévoila une pièce assez grande et encore une fois très sobre dans la décoration.

Au milieu une table basse, semblable à celle présente dans la pièce principale. Dessus se trouve une petite besace en peau contenant divers outils. Le mur du fond est entièrement composé de petits tiroirs, innombrables. Sur le côté gauche, une immense vitrine d'où émane une douce lueur bleutée, renferme des bocaux. Surement les ingrédients qu'Elias utilise pour fabriquer ses baguettes.

De l'autre côté de la pièce on trouve de grandes jarres en terre cuites, sur lesquelles sont inscrits des idéogrammes japonais : ブナノキ , カンバ , セコイア

L'atmosphère semble dense, différente de celle de la pièce d'a côté.*

"C'est bon, vous êtes content ?"

Pour toute réponse, Poivre/Lord Tiramisu adressa un sourire charmeur à son hôte. Il avait tellement entendu cet adjectif pour le qualifier qu'il le prenait aujourd'hui pour un compliment. Au sens littéral du terme, il en était intimement persuadé. Malgré son manque de... fantaisie, le tatouage n'en gardait pas moins autant d'intérêt à ses yeux, d'autant plus qu'il était persuadé qu'il serait toujours temps, une fois qu'il l'aurait en sa possession, de lui donner quelques capacités intéressantes qui augmenterait son potentiel de vente.

Faisant claquer sa baguette sur le sol de la boutique, le jeune homme suivit Elias jusqu'à la petite pièce qui lui plut bien plus que la première salle. Poivre aimait les ambiances lourdes de magie, et c'était généralement le cas dans les endroits où on confectionnait les baguettes, ces petits bouts de bois tellement puissants. Cependant, il n'y avait rien qui fut ici révélateur de la duplicité du vendeur de baguette, et cela contraria l'enquêteur improvisé. Il était tellement sûr que Morgenstern cachait quelque chose ! Peut-être était-il tout simplement temps de laisser tomber les masques. Dos au nouvel arrivant de Pré au Lard, Poivre se retourna soudainement. Son air affable avait disparu, remplacé par une froide détermination. A pas lent, il se rapprocha de Elias, jusqu'à être presque nez à nez avec lui, le bout de sa canne cependant dressé entre eux vers le visage du commerçant :

"Trêve de balivernes... Ce sont eux qui vous envoie, n'est-ce pas ? J'ai vu la chaussure, ne me mentez pas !"

*S'il fut surpris par le changement d'attitude de Poivre, Elias n'en montra rien. D'un geste lent, il saisit l'extrémité de la canne et l'écarta doucement, sans brutalité.

Son regard se durcit.*

"Vous dépassez les limites... Je vous fais entrer chez moi, et vous m'agressez. Ca suffit, maintenant j'vais vous demander de sortir."

*D'un geste mesuré, il indiqua la sortie de la pièce à Poivre. Le ton employé ne souffrait aucune contestation. Un dernier regard et Elias tourna le dos au commerçant.*

La température dans la pièce venait de baisser de quelques degrés. Lentement, les cheveux de Poivre se hérissaient un à un alors que le commerçant ennemi s'entêtait à le défier. Pendant un instant, le temps sembla se figeait : L'ex Lord Tiramisu ne bougeait pas, fixant dans les yeux à la façon des serpents ce traître, ce sale troll de Morgenstern.

"Je vous aurai... Persifla-t-il finalement. Je prouverai que vous êtes l'un des LEUR et moi vivant, vous n'aurez pas de répit... Vive la napolitaine !" Brailla-t-il comme s'il venait de souhaiter longue vie au ministre, tout en se transplanant dans un drapé de cape.

[ > Le vif d'or]